Un témoignage de Martin Lemire
J’ai toujours rêvé d’être père, et pour moi, le moyen choisi – adoption, enfants d’une conjointe ou insémination artificielle – importait peu. J’ai eu le bonheur de rencontrer sur ma route la personne la plus merveilleuse qui soit : ma conjointe Isabelle. Au début de notre relation, j’ignorais s’il me serait possible d’avoir des enfants de façon naturelle. Comme Isabelle voulait aussi des enfants, après quelques mois de fréquentation, j’ai passé un spermogramme. Mon atteinte étant légère, j’espérais faire partie des 2 % des hommes adultes fibro-kystiques fertiles. Malheureusement, j’ai connu une déception le jour où le médecin m’a appelé pour me communiquer les résultats : il est difficile de déjouer les statistiques. Isabelle a de son côté passé le test de dépistage génétique pour savoir si elle était porteuse. Bonne nouvelle : elle n’était pas porteuse des gènes de la fibrose kystique les plus courants au Québec et au Canada.
Nous avons laissé s’écouler quelques années avant d’entreprendre nos démarches dans une clinique de fertilité. La première rencontre a été prometteuse, et l’on nous y a dit ce que nous savions déjà, à savoir que trois choix s’offraient à nous : l’adoption, l’insémination artificielle du sperme d’un donneur ou la fécondation in vitro. Comme Isabelle voulait un enfant de moi, j’ai alors eu ce que je croyais être une magnifique idée, mais qui n’a pas été partagée par ma conjointe : étant donné ma ressemblance frappante avec mon père, pourquoi ne pas inséminer les spermatozoïdes de mon père ? Ma merveilleuse idée n’a pas fait long feu, car la loi du Québec interdit ce genre de pratique. Avec un peu de recul, j’avoue que ce n’était pas vraiment une bonne idée pour plusieurs raisons, dont des considérations morales. Nous sommes donc repartis de cette visite avec toutes les informations nécessaires et avons pris une année pour réfléchir à la question.
Cette réflexion nous a amenés à visiter une autre clinique, soit la Clinique de fertilité OVO à Montréal. Dès le premier contact, nous nous sommes sentis extrêmement à l’aise et en confiance; c’était en avril 2005. La rencontre avec le médecin a été enrichissante et nous a décidés à nous lancer dans l’aventure de la fécondation in vitro. Quelques jours plus tard, c’est avec beaucoup d’enthousiasme que nous entamions le processus. Le tout a commencé par des tests sanguins pour ma conjointe et moi, et une échographie de ma conjointe. Cette première étape s’est très bien déroulée. Avant notre retour à la maison, au Témiscamingue, nous avons pris un second rendez-vous afin de passer à l’étape suivante, qui comportait des rencontres avec le gynécologue, l’urologue et le généticien.
Un second voyage à Montréal a donc été entrepris au mois de mai. La rencontre avec le gynécologue a été positive; tout nous souriait. Celle avec l’urologue a été plus stressante, mais selon lui, il y avait présence de spermatozoïdes dans l’épididyme, et le canal déférent était absent. Soulagement : tout allait encore très bien. Par contre, la rencontre avec le généticien nous a beaucoup ébranlés. En effet, comme il voulait s’assurer, avant que nous poursuivions nos démarches, que notre futur enfant n’ait pas la fibrose kystique, il nous a soumis l’idée qu’à titre de parents « responsables », nous devrions faire en sorte qu’Isabelle subisse le séquençage du gène de la fibrose kystique. Il s’agit d’un test plus poussé, qui vérifie si une personne ne présente pas un des nombreux gènes de la fibrose kystique observés en Amérique du Nord. De plus, il faut attendre de trois à quatre mois avant d’obtenir les résultats. Nous étions extrêmement tristes et déçus, car nous avions prévu procéder au cycle in vitro en juillet, moment où j’avais déjà planifié mes vacances pour faciliter nos déplacements. Nos plans étaient anéantis. Ma conjointe, quelque peu révoltée, me disait : « Pourquoi est-ce si difficile d’avoir des enfants ? Pourquoi ne pouvons-nous pas les avoir naturellement. » Nous sommes revenus à la maison, le cœur déchiré.
Au début du mois de juin, Isabelle a passé le test sanguin pour le séquençage dans un hôpital de la région. Et voilà que la veille de nos vacances, nous recevions un appel inattendu du généticien : les résultats étaient parfaits. Selon lui, les risques d’avoir un enfant fibro-kystique étaient presque nuls. Nous étions tellement heureux ! Nous avons tout de suite contacté la clinique OVO pour leur dire que nous voulions commencer le processus in vitro, car, comme par magie, ma conjointe se trouvait au bon moment de son cycle menstruel. Nous étions au comble du bonheur. Notre entourage nous encourageait, bien que certains n’étaient pas tout à fait d’accord, car le processus peut être difficile pour la santé de la femme et éprouvant pour le couple. De plus, la démarche est dispendieuse et les résultats ne sont pas garantis. Néanmoins, après que nous les ayons rassurés, ils nous ont tous soutenus et encouragés au maximum. Nous sommes donc allés à Montréal et, quelques jours après le début de la prise de médicaments, nous nous sommes rendus à la clinique. Tous les professionnels (médecins et infirmières) ont été très accueillants et se sont mis à notre disposition pour répondre à toutes nos questions et inquiétudes. Ils nous ont expliqué que le processus durerait six semaines. Nous commencions l’aventure in vitro confiants et remplis d’espoir, tout en demeurant réalistes ; nous étions conscients de toutes les éventualités.
Nous sommes rentrés à la maison chargés de tonnes de médicaments et animés d’un grand espoir. Étant donné la distance importante qui séparait notre lieu de résidence de la clinique, celle-ci nous a facilité le processus en nous faisant passer des tests en région. Les premiers médicaments administrés étaient des comprimés, mais les médicaments suivants devaient être injectés, ce qui rendait le traitement douloureux. Nous étions à la fois inquiets et stressés. Nous nous sommes ensuite préparés à retourner à Montréal, car, pour les deux dernières semaines, nous devions être près de la clinique. Pour le moment, les médicaments faisaient leur travail, et tout allait vraiment bien. Le jour où il faudrait prélever les ovules et les spermatozoïdes approchait; nous entrevoyions ce jour avec appréhension.
Finalement, le 15 août, le médecin prélevait 24 ovules chez Isabelle, dont 14 matures. Heureusement, cette étape n’a pas été douloureuse, car Isabelle était sous sédatif. C’était ensuite mon tour. La panique s’est emparée de moi ; je voulais être à la hauteur. L’infirmière m’a expliqué la procédure dans tous les détails. Enfin, tout s’est bien déroulé, et les spermatozoïdes étaient au rendez-vous. Quel soulagement ! Quelques heures plus tard, la clinique nous confirmait que nos ovules et spermatozoïdes avaient produit neuf embryons. Mais nous n’étions pas au bout de nos peines. En effet, l’hyperstimulation ovarienne qu’avait subie Isabelle a provoqué chez elle une forte douleur au ventre ; si cela devait empirer, l’implantation des embryons devrait être retardée. Enfin, le 18 août, journée très éprouvante, les médecins ont implanté deux embryons dans l’utérus d’Isabelle. L’intervention a été presque sans douleur. Les embryons restants allaient être amenés à un certain degré de maturité et ceux qui survivraient seraient congelés. Il ne restait plus qu’à demeurer tranquilles et à attendre.
Nous sommes rentrés à la maison deux jours plus tard. Sur le chemin du retour, nous apprenions qu’aucun embryon n’avait survécu. Nous comptions énormément sur ces embryons pour ne pas avoir à refaire toute la procédure si jamais Isabelle faisait une fausse couche ou au moment où nous voudrions essayer d’avoir un deuxième enfant. Nous avons dû attendre deux bonnes semaines avant de connaître le résultat du test de grossesse ; ces deux semaines ont été interminables. Nous étions à la fois heureux, inquiets et confiants. Les résultats du premier test de grossesse, attendus avec impatience, ont été positifs, avec un taux d’hormones indiquant qu’un seul embryon avait survécu. Bien qu’heureux, nous étions aussi déçus, car égoïstement, nous espérions vraiment que les deux embryons survivent ; ainsi, notre famille aurait été constituée en un seul essai. Cet événement nous a permis de réaliser que la réussite de ce processus ne tenait qu’à un fil; que tout était en fait très fragile. Cette prise de conscience est toujours difficile à vivre. J’étais déchiré entre le résultat positif, et le fait que rien ne devait être pris pour acquis tant que notre enfant ne serait pas au monde. J’étais craintif, car demeurait le risque qu’Isabelle, comme toute femme enceinte, fasse une fausse couche. J’avais toujours peur des mauvaises nouvelles. Je ne réalisais pas encore que nous allions bel et bien avoir un enfant.
Puis, nous avons reçu les résultats d’un deuxième test de grossesse, eux aussi positifs. Nous allions avoir un enfant ! Mais les craintes restaient présentes. De plus, le début de la grossesse a été difficile pour Isabelle, car la procédure avait provoqué une autre hyperstimulation ovarienne encore plus forte. Elle a eu de sérieux maux de ventre qui nous ont fait craindre le pire. Mais après environ deux mois de grossesse, tout est rentré dans l’ordre et la grossesse se passait à merveille. Chaque nouvelle étape – le ventre qui grossit, le bébé qui bouge et qui a le hoquet, les échographies – était pour nous un moment de bonheur.
Enfin est arrivé le jour merveilleux et tant attendu de l’accouchement. Allais-je enfin réaliser que nous avions un enfant ? L’accouchement s’est très bien passé. Lorsque j’ai vu sur le ventre de ma conjointe ce petit être tout rose se mettre à bouger et à pleurer, j’ai éclaté en sanglot de joie devant la beauté de ce miracle.
Aujourd’hui, nous avons une belle petite fille. De plus, le test de la sueur exigé par mon médecin nous a indiqué qu’elle n’avait pas la fibrose kystique. Elle a maintenant six mois et représente, avec ma conjointe qui m’a permis de vivre cette aventure, la plus belle chose qui soit dans ma vie. Il est certain que ce processus n’est pas facile, mais nous étions quand même bien préparés. Quelques jours après la fin du processus in vitro, vous auriez demandé à ma conjointe si elle le referait, et elle vous aurait dit non. Puis le temps passe, et la douleur s’oublie. Aujourd’hui, devant ce petit être plein de vie et d’amour, nous n’osons pas nous imaginer ce que serait notre vie sans elle. Nous rêvons d’avoir d’autres enfants ; si la vie veut bien nous le permettre, nous sommes prêts. Et qui sait, peut-être que d’ici quelques années la science aura fait des progrès qui feront en sorte que la procédure sera différente et même plus facile. En attendant, nous sommes heureux et profitons bien de chaque moment avec notre fille qui nous comble de bonheur.