Santé – L’allergie aux antibiotiques: un problème fréquent chez les patients fibro-kystiques
(SVB 2013)
La fibrose kystique engendre au sein des voies respiratoires la production de mucus visqueux et une colonisation bactérienne chronique, causant des infections pulmonaires récurrentes. Ces dernières nécessitent l’administration d’antibiotiques intraveineux à fortes doses, pour une durée prolongée. Par conséquent, les réactions indésirables aux antibiotiques sont fréquentes dans la population atteinte de fibrose kystique. Certaines réactions sont prévisibles, alors que d’autres ne le sont pas (alors appelées imprévisibles).
Les réactions prévisibles ne sont pas de nature allergique (Tableau 1). Cette catégorie comprend :
• les effets secondaires : par exemple, l’apparition d’une hypersensibilité cutanée au soleil chez un patient recevant de la ciprofloxacine;
• les interactions : par exemple, la réduction importante de l’élimination de l’alcool chez un patient traité au métronidazole, entraînant nausée, vomissement, palpitations et céphalées lors d’une prise concomitante;
• les réactions toxiques : par exemple, l’apparition d’un trouble de l’audition à la suite de l’utilisation d’aminosides (tobramycine).
Ces réactions sont bien décrites dans la documentation qui accompagne l’antibiotique. Elles peuvent en général être évitées si le patient prend connaissance de la fiche accompagnant le médicament et en discute avec son médecin ou son pharmacien.
Par ailleurs, certaines réactions sont imprévisibles. Ces dernières peuvent être séparées en deux groupes : les réactions pseudo-allergiques et les réactions allergiques. Les premières impliquent la libération directe de médiateurs chimiques en cause dans l’allergie, sans que le système immunitaire soit activé. La libération directe des médiateurs est provoquée par l’exposition à des agents en général reconnus (contraste iodé lors d’un examen en radiologie, opiacés, anti-inflammatoires non stéroïdiens). Les manifestations varient : rhinite, asthme, urticaire et hypotension. Ces réactions pseudo-allergiques sont peu fréquentes. Chez les patients qui ont déjà présenté une telle réaction, le recours à la prémédication avant l’exposition à l’agent incriminé (par exemple la prednisone et la diphenhydramine) est généralement efficace.
Les réactions allergiques vraies provoquées à la suite de l’administration d’un antibiotique sont trois fois plus fréquentes chez les patients atteints de fibrose kystique que dans la population générale. Les taux d’allergies signalés dans diverses études varient de 1,9 à 28 %. Cependant, la pipéracilline est signalée de façon systématique comme étant l’antibiotique associé au plus grand risque de réaction, soit de 33 à 50 % des événements signalés. Cette statistique doit cependant être nuancée par le fait que la pipéracilline est l’un des antibiotiques les plus utilisés lors d’exacerbations. L’administration par voie intraveineuse est associée à un plus grand risque de
développer une allergie.
Les réactions allergiques surviennent à la suite du déclenchement d’une réponse du système immunitaire provoquée par l’exposition répétée à un antibiotique donné. Elles sont regroupées en quatre types :
• le type I est lié au développement d’anticorps (IgE) contre l’antibiotique : la réaction se manifeste rapidement après l’administration et inclut l’urticaire, l’œdème, l’asthme jusqu’au choc anaphylactique, potentiellement mortel si non traité;
• le type IV est lié au développement d’un groupe de globules blancs, les lymphocytes T, dirigés contre l’antibiotique : cette réaction se manifeste plus tardivement, généralement par divers types d’atteintes cutanées;
• les types II et III sont rarement rencontrés lors d’allergies aux antibiotiques.
Le diagnostic d’une allergie médicamenteuse se base principalement sur un questionnaire détaillé. Les éléments recherchés sont le nom du médicament suspecté, l’indication du traitement, les symptômes lors de la réaction et leur évolution, la présence de ces symptômes avant la réaction ainsi que le traitement de la réaction.
Lorsque l’on soupçonne la présence d’une réaction allergique à un antibiotique, il est parfois possible de procéder à des tests cutanés. Au cours du test par scarification, on dépose une goutte d’antibiotique sur la peau de l’avant-bras, puis on égratigne la peau à l’aide d’une aiguille. Lors du test intradermique, on injecte une goutte d’antibiotique sous la première couche de la peau. Une réaction de rougeur et d’enflure au site est indicatrice d’une allergie.
Lorsque les tests sont négatifs sur la peau ou lorsqu’il n’est pas possible d’effectuer des tests cutanés, on procède à une épreuve de provocation. On administre différentes doses d’antibiotique de façon fractionnée : généralement, on débute par 1/100 de la dose, puis 1/10 et finalement une dose complète. L’antibiotique est donné par voie orale ou intraveineuse. Cette méthode permet de vérifier la présence d’allergie de type I (anticorps IgE). Puisqu’elle comporte un risque de réaction anaphylactique, on doit toujours procéder en milieu hospitalier, sous supervision médicale. Lors de réaction retardée (type IV), une éruption cutanée peut survenir dans les jours suivant le test. Elle doit absolument être signalée à l’allergologue qui a procédé au test. De nouvelles techniques sont présentement à l’étude pour l’investigation de ces réactions retardées, comme les tests épicutanés (patch tests).
Lorsqu’on soupçonne une réaction allergique, le premier traitement consiste à cesser l’administration du médicament en cause. On aura recours à l’administration d’antihistaminiques, puis de corticostéroïdes et d’adrénaline selon la gravité de la réaction sous-jacente.
Si une allergie à un antibiotique est confirmée, l’évitement strict de toute la famille de ce médicament demeure la meilleure conduite. Lorsque l’antibiotique en question est essentiel, on peut avoir recours à une désensibilisation. Pour ce faire, on administre le médicament à des doses infinitésimales, généralement 1/100 000 de la dose visée, puis on augmente graduellement la dose jusqu’à l’administration de la dose thérapeutique. Cette procédure dure plus de huit heures et doit se dérouler aux soins intensifs, car elle comporte un risque de réaction allergique. La désensibilisation confère une tolérance temporaire pour toute la durée du traitement. Dès que le traitement cesse, l’état d’allergie revient au niveau précédant la désensibilisation. On doit procéder à une nouvelle désensibilisation chaque fois que l’antibiotique doit être administré.
En somme, l’élément le plus important consiste à bien documenter les réactions survenues à la suite de la prise d’un antibiotique particulier, aussi bien pour empêcher l’apparition d’une réaction prévisible que pour ne pas se priver de façon indue d’une arme thérapeutique bénéfique.
Hugo Chapdelaine
M.D., FRCPC Allergo-immunologue Hôpital Notre-Dame
Centre hospitalier
universitaire de Montréal (CHUM)
Révision scientifique
Louis Paradis M.D., FRCPC Allergo-immunologue Centre hospitalier
universitaire
Sainte-Justine Hôpital Notre-Dame
Centre hospitalier
universitaire de Montréal (CHUM)
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