Publié dans le SVB2017
Par Marie-Ève Major, travailleuse sociale
Clinique de fibrose kystique du CHUM
Montréal (Québec)
La fibrose kystique est sans contredit une maladie chronique ayant des impacts significatifs sur le fonctionnement psychosocial des individus qui en sont atteints. En effet, elle affecte autant la sphère personnelle que familiale et sociale. Elle a aussi des conséquences sur la vie professionnelle et académique, de même que sur les activités de la vie quotidienne et domestique.
Selon le psychologue américain Julian Rotter (1916-2014), chaque personne humaine a tendance à attribuer les éléments qui les affectent à des causes qui seront principalement intérieures, ou plutôt extérieures. Évidemment, les individus atteints de fibrose kystique n’échappent pas à cette réalité. On peut en effet identifier dans leurs discours des éléments rattachés à l’une et l’autre de ces deux croyances opposées.
Toujours selon Rotter, on dira des personnes qui pensent avoir le plein contrôle sur leur vie qu’elles ont un locus de contrôle interne, et des personnes qui attribuent ce qui leur arrive à des causes extérieures, un locus de contrôle externe. Dans la littérature, on parle parfois aussi de lieux de contrôle interne et externe. Pour le psychologue, ces deux notions doivent être comprises comme un spectre de possibilités, et non comme des valeurs absolues. Ainsi, les locus de contrôle de la plupart des individus se situent quelque part entre les deux.
L’objectif premier du présent texte est donc de vous aider à mieux vous situer sur l’échelle des différents locus de contrôle en examinant vos croyances et en remettant en question vos certitudes. En second lieu, il vous permettra de prendre conscience des forces que votre appartenance à l’un ou l’autre des deux groupes vous a permis de développer, à travers votre processus d’acceptation de la maladie. Finalement, il vous amènera à identifier les limites inhérentes à chacune de ces deux écoles de pensées, de manière à savoir reconnaître les différents défis que vous aurez possiblement à relever dans l’avenir.
Le locus de contrôle interne
Les personnes qui possèdent un locus de contrôle majoritairement interne croient généralement que rien n’arrive pour rien. Elles établissent un lien de causalité très clair entre leurs actions et les conséquences de celles-ci sur leur vie. Si elles ont échoué un examen important à l’école, c’est qu’elles n’avaient pas suffisamment étudié. Si elles n’ont pas obtenu la promotion tant espérée au travail, c’est que leur performance à l’entrevue était sous-optimale.Si elles sont arrivées à leur rendez-vous médical en retard, c’est qu’elles ne se sont pas levées plus tôt que d’habitude en prévision du trafic engendré par la chute de neige. Par rapport à la maladie, ces personnes vont aussi s’attendre à ce que leur état clinique reflète l’assiduité et la détermination dont ils font preuve dans l’accomplissement de leurs traitements.
Lorsque l’état médical est stable ou encore mieux, amélioré, il n’y a pas de mot pour décrire le sentiment de fierté qui transparaît derrière leur sourire. Le résultat de la spirométrie concorde avec les efforts déployés et tout va bien dans le meilleur des mondes. Toutefois, lors d’une dégradation de l’état clinique, ces personnes auront le réflexe de se blâmer et de se culpabiliser. Elles vont alors se remémorer toutes les occasions où elles n’ont pas donné leur maximum, puis poser un lien direct entre ces digressions ponctuelles et l’état dans lequel elles se trouvent maintenant.
Ainsi, lorsque cela va bien, posséder un locus de contrôle interne permet à l’individu de conserver une attitude positive et confiante face à l’avenir. Cela favorise également son engagement à l’école ou au travail, de même que son adhérence thérapeutique, car il est persuadé que son état est le produit de sa persévérance. De plus, à force d’analyser en profondeur chacune de ses réussites et chacun de ses échecs, l’individu présentant un locus de contrôle interne développe une capacité d’introspection ainsi que des stratégies d’adaptation extraordinaires.
Il existe cependant quelques inconvénients au fait de posséder un locus de contrôle interne. L’individu appartenant à ce groupe peut en effet parfois être perfectionniste à l’extrême et ressentir un fort sentiment de culpabilité ou de honte lorsque confronté à un échec. De plus, comme son estime personnelle est intimement liée à sa réussite ainsi qu’à ses accomplissements, il peut facilement devenir anxieux ou déprimé lorsque ses efforts ne sont pas récompensés par les résultats escomptés. Finalement, cet individu est habituellement plus vulnérable à la critique et au chantage émotionnel, car en plus de se considérer entièrement responsable de son état, il aura aussi tendance à se sentir responsable du bonheur ou du malheur des autres.
Afin de contrebalancer les désavantages du locus de contrôle interne, l’individu peut apprendre à faire la distinction entre le sentiment de culpabilité et le sentiment de responsabilité. Par exemple, au lieu de se culpabiliser inutilement en se disant : «Si ma fonction pulmonaire est diminuée ce mois-ci, c’est parce que je n’ai pas fait mes exercices de physiothérapie respiratoire à tous les jours. J’ai fait preuve de lâcheté et maintenant j’obtiens ce que je mérite.», une personne peut plutôt se responsabiliser en disant : «Il est possible que le fait de ne pas avoir fait mes exercices de physiothérapie respiratoire ait contribué à la diminution de ma fonction pulmonaire ce mois-ci. Ma santé me tient à cœur et mes actions devraient mieux refléter cette réalité. Je me donne pour objectif de faire mieux le mois prochain.».
Dans cet exemple, l’individu présentant un locus de contrôle majoritairement interne exploite les forces qui découlent de son appartenance à ce groupe tout en refusant de se faire violence en se laissant envahir par des sentiments de culpabilité ou de honte. Il augmente ainsi considérablement ses chances d’apporter un changement positif à sa vie.
Le locus de contrôle externe
Les personnes qui présentent un locus de contrôle majoritairement externe vont quant à elles s’expliquer les phénomènes qui les affectent par des facteurs environnementaux sur lesquels ils n’ont aucun contrôle, comme par exemple la chance, le hasard, les autres ou encore les institutions. Si elles ont échoué un examen important à l’école, c’est que la matière était trop difficile. Si elles n’ont pas obtenu la promotion tant espérée au travail, c’est que les cadres qui passaient les entrevues ont fait le mauvais choix. Si elles sont arrivées à leur rendez-vous médical en retard, c’est parce qu’il y avait du trafic à cause de la neige. Par rapport à la maladie, ces personnes vont entretenir la croyance qu’il est futile d’offrir une adhérence thérapeutique irréprochable, étant donné qu’une urgence médicale susceptible d’entraîner une détérioration irréversible de leur état peut survenir à tout moment, et cela peu importe les efforts qu’ils vont mettre à s’occuper de leur santé.
Le fait de présenter un locus de contrôle majoritairement externe comporte peu d’avantages. On pourrait penser que ces personnes sont moins sujettes à l’anxiété, car elles semblent se laisser porter par la vie, sans tracas ni soucis, mais ça n’est pas le cas. En effet, bien que ces personnes aient tendance à se sentir moins coupables de ce qui leur arrive, elles n’en sont pas moins anxieuses devant la perspective de n’avoir aucun pouvoir sur leur avenir, aucune influence sur le cours de leur histoire. Le défi à relever pour ces personnes sera de développer leur esprit d’initiative ainsi que leur pouvoir d’agir afin de reprendre un certain contrôle sur leur vie.
La bonne nouvelle, c’est que personne ne possède un locus de contrôle à 100% interne ou externe. La plupart du temps, les effets du locus de contrôle externe sont contrebalancés par des éléments du locus de contrôle interne, et vice versa. Il est aussi important de garder en tête qu’il n’y pas de bonne ou de mauvaise façon d’interpréter les événements qui affectent notre vie. En effet, chaque expérience humaine est unique, complexe et valide.
Conclusion
En regard de tous ces éléments, on peut dire que le fait de savoir où se situe principalement notre locus de contrôle par rapport à ce que nous vivons constitue un bon moyen d’identifier nos forces, ainsi que les défis à relever dans notre cheminement d’acceptation de notre réalité. Cette quête n’est certainement pas chose facile. Elle demande une grande dose de courage. En effet, elle fait appel à notre capacité à nous remettre en question, une habileté qui n’est pas à la portée de tous et qui peut parfois nous faire vivre de l’inconfort.
Si vous désirez amorcer une démarche de croissance personnelle afin de mieux comprendre les raisons qui motivent vos pensées, vos décisions ainsi que vos comportements, entourez-vous de personnes avec qui il vous sera possible d’échanger et de partager vos réflexions sans peur d’être jugés. N’hésitez pas non plus à demander l’aide professionnelle d’une ou d’un psychothérapeute qui saura vous écouter et vous guider, surtout si votre réseau familial et social n’est pas disposé à le faire. Par ailleurs, certaines personnes ressentent moins le besoin d’avoir un interlocuteur lorsqu’elles font de l’introspection et préfèrent lire des livres ou écrire leurs réflexions dans un journal. Finalement, pratiquer une activité artistique ou sportive peut également vous permettre de vous recentrer et d’aller à la découverte de vous-mêmes.
Mieux se connaître, c’est mieux se comprendre. Mieux se comprendre, c’est mieux s’accepter. Et c’est en travaillant l’acceptation de soi qu’on peut finalement arriver à développer davantage d’amour et de respect pour la personne humaine que nous sommes.
Source
Rotter, J. B. (1966). Generalizedexpectancies for internal versus external control of reinforcement. PsychologicalMonographs, 80 (Whole No. 609).
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