Qui ne risque rien n’apprend rien
L’adolescence est une période charnière dans le développement humain. C’est à ce moment que s’opèrent d’importants changements au chapitre des émotions, des comportements et des relations interpersonnelles. C’est aussi durant cette période qu’une personne peut adopter des comportements néfastes pour sa santé, comme l’usage du tabac ou la consommation d’alcool et de drogues. Si ces comportements peuvent affecter les adolescents réputés en « bonne santé », c’est d’autant plus le cas chez les adolescents atteints de fibrose kystique. Il importe donc d’avoir conscience des défis qui guettent les jeunes et des types de comportements à risque qui pourraient avoir un effet néfaste sur leur santé. Le risque fait partie intégrante du passage à la vie adulte. Tous les adolescents – atteints ou non de FK – et leurs parents doivent apprendre à se familiariser et à composer avec lui.
L’entrée dans l’âge adulte est une période critique dont dépend le futur bien-être psychologique d’une personne. Les décisions et les transitions qui surviennent durant cette période peuvent avoir des conséquences tout au long de la vie adulte et leurs effets peuvent se répercuter sur plus d’une sphère de la vie. Il se peut aussi que les nombreux changements d’envergure que vivent les jeunes adultes fragilisent leur santé mentale. Pourtant, certains spécialistes du développement humain sont d’avis que non seulement les grands bouleversements de la vie (dont la prise de risques) constituent-ils la norme chez les sujets de cette tranche d’âge, mais qu’ils sont socialement souhaitables.
La différence est donc très subtile entre une décision qui peut représenter un risque (potentiellement grave) et une expérience qui peut simplement doter une personne des habiletés et des connaissances nécessaires pour bien évoluer dans la vie. Dans notre société postmoderne, la prise de risques prend diverses formes chez les adolescents : adoption d’un nouveau mode de vie, défis de toute nature, choix des pairs. À plusieurs égards, les jeunes adultes se trouvent en terrain inconnu, car les défis qui se dressent sur leur chemin sont fort différents de ceux qu’ont dû affronter leurs parents et grands-parents.
L’aura de « normalité » qui accompagne les comportements téméraires représente un autre défi. Par exemple, une étude menée à l’université de Tasmanie indique qu’il existe différents types de comportements risqués (comme la consommation d’alcool et le tabagisme chez les mineurs) que les adolescents dits « ordinaires » adoptent parce qu’ils leur semblent « normaux » et répandus. Notons que la même étude qualifie environ 30 % des participants adolescents de « fortement » ou « très fortement » téméraires. Ainsi, un adolescent sur trois aurait un comportement téméraire : il est donc très probable qu’un jeune fréquente régulièrement l’un d’eux ou qu’il soit lui-même l’un d’eux !
Une autre étude révèle que la prise de risques à l’adolescence est associée au besoin de vivre des sensations et des expériences variées, nouvelles et complexes et au désir de prendre des risques physiques et sociaux pour faire ce genre d’expériences. La tendance à adopter un comportement à risque pourrait s’expliquer par le « défaut de raisonner en tenant compte des probabilités », qui fait en sorte que les adolescents déforment à leur avantage la perception du risque que présente un certain comportement. Cette déformation, et par conséquent le comportement téméraire, s’expliquerait par le fait que les adolescents atteignent la maturité biologique avant la maturité sociale. Il n’est pas étonnant que l’adolescence et les premières années de l’âge adulte soient les périodes où se développe à sa pleine capacité le cortex préfrontal du cerveau, siège de l’aptitude à évaluer et gérer les conséquences.
À l’université de Melbourne, les comportements téméraires des adolescents ont été étudiés en lien avec la pratique de jeux de hasard. Dans un groupe d’étudiants de 8e année, on a découvert que 41 % s’étaient adonnés à une forme ou une autre de jeu au cours des 12 mois précédents. L’étude indique que les jeunes hommes sont les plus susceptibles de s’adonner au jeu, car ils en ont une perception positive. Les raisons le plus souvent évoquées par les adolescents pour jouer sont la fébrilité, le plaisir et le gain d’argent. Parmi les autres raisons figurent la détente, l’occasion d’échapper aux problèmes et de soulager la dépression. On explique souvent la forte propension au jeu chez les adolescents par leur désir d’expérimenter des comportements adultes au moyen d’activités qui se pratiquent avec des pairs ayant des motivations et des champs d’intérêt semblables.
Si les comportements téméraires semblent plus fréquents chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes, les chercheurs ont observé une hausse de la fréquence de ces comportements chez les adolescentes. Cette hausse s’expliquerait par l’amenuisement de l’écart entre les rôles de sexe ainsi que par l’impact de la mondialisation et de l’individualisation, qui incitent les jeunes femmes à prendre plus de risques – et, surtout, plus de risques que leurs mères n’en ont pris. La concurrence croissante que vivent les jeunes femmes dans les domaines scolaire, professionnel et social a stimulé leur propension aux comportements impulsifs, réduisant d’autant la différence entre les hommes et les femmes ayant ce genre de comportement.
Les risques associés au tabagisme sont maintenant connus de tous, ne serait-ce qu’en raison des avertissements figurant sur les paquets de cigarettes. Pourtant, encore aujourd’hui, des jeunes commencent à fumer la cigarette ou en font l’essai. Dans plusieurs cas, ils y sont poussés par la pression des pairs ou simplement par le sentiment d’appartenance ou le désir de prendre un risque (en enfreignant une règle). L’université nationale australienne a découvert que le principal indice permettant de déterminer si un jeune deviendra fumeur est que son meilleur ami est lui-même fumeur. Chez les adolescentes, le meilleur indice de prédiction réside dans le fait qu’un de ses parents fume, ce qui prouve l’influence des messages non verbaux que reçoivent certains
adolescents à l’égard de comportements ayant une incidence sur la santé.
Les comportements à risque pour la santé peuvent également se présenter sous la forme de perturbations des habitudes alimentaires qui, dans les cas extrêmes, se traduisent par des troubles de l’alimentation comme la boulimie. Les chercheurs de l’université Deakin ont récemment découvert que les troubles de l’alimentation sont liés à un affect négatif (l’expérience d’émotions négatives) chez les adolescents des deux sexes. De même, une forte insatisfaction de leur image corporelle semble être un facteur important chez plusieurs sujets. Reposant notamment sur la comparaison entre des adolescents faisant de l’embonpoint et des adolescents ayant un poids santé, l’étude révèle, outre l’évidence du besoin des adolescents ayant un excès de poids d’adopter des stratégies pour atteindre un poids santé, que les adolescents affichant le plus fort degré d’affect négatif sont plus sujets à s’adonner à des activités risquées et ayant des conséquences négatives sur leur santé. La littérature portant sur l’image corporelle et la FK abonde, en particulier en lien avec les jeunes femmes.
Les traits de personnalité peuvent aussi jouer un rôle dans la prise de décision et l’évaluation des risques. On a découvert que les jeunes adultes ayant une tendance à l’impulsivité (qui n’ont pas une bonne maîtrise de soi) sont plus enclins à se livrer à des comportements téméraires que ceux qui sont moins impulsifs.
Pour avoir une vie épanouie et bien composer avec le stress, il est impératif d’apprendre à gérer efficacement les problèmes. Cette faculté repose en grande partie sur les caractéristiques individuelles telles que l’expérience de vie et la personnalité. Néanmoins, il est possible de maximiser cette capacité à surmonter les difficultés qui surgissent lors de changements physiques, intellectuels et sociaux en misant dès le début de l’adolescence sur un état de bien-être émotionnel.
Pour les adolescents, il n’est pas simple de faire leur chemin dans la vie. La tâche n’est pas plus facile pour les parents : ils doivent guider leurs adolescents en respectant la mince limite entre ce qui les aide à demeurer dans le droit chemin et ce qui pourrait leur envoyer des messages contradictoires. Une autre étude menée en Australie révèle que certains parents, dans l’espoir de « préserver » leurs enfants mineurs de la consommation excessive d’alcool, se sont rendus complices de ce délit en leur fournissant une petite quantité de boissons alcoolisées, en les reconduisant aux fêtes et les ramenant au bercail ou en leur procurant un téléphone portable. Bien qu’ils partent d’une bonne intention, ces gestes peuvent aussi être interprétés comme un consentement implicite de la part des parents et envoyer des messages
contradictoires, même s’ils visent à aider les jeunes à acquérir les compétences sociales nécessaires à la gestion des comportements à risque.
Le défi qui se présente à la fois aux parents et aux responsables des programmes d’éducation et de santé consiste à aider les adolescents à prendre des décisions éclairées, responsables et réalistes parmi les nombreuses options qui s’offrent à eux dans notre société postmoderne. Voilà qui pourrait le mieux encourager les jeunes à acquérir les aptitudes sociales nécessaires et à faire la distinction entre « bons » et « mauvais » risques. Les temps changent et les défis que doivent surmonter les adolescents d’aujourd’hui sont à plusieurs égards très différents de ceux qu’ont dû relever leurs parents. Il est donc important de comprendre les défis actuels qui se posent aux adolescents, qu’ils émanent des adolescents eux-mêmes ou du monde qui les entoure, afin de s’adapter à l’évolution des mœurs et aux nouvelles réalités. À plus forte raison, il faut pratiquer une communication ouverte, continuelle et dépourvue de tout jugement de valeur.
Kylie mcGirr
Cystic Fibrosis Victoria
Melbourne, Australie
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