Valérie Gosselin, psychologue diplômée de l’Université Laval, a été récipiendaire de la prestigieuse bourse Forces Avenir en 2003, qui soulignait la qualité de ses résultats scolaires, son implication sociale et le fait qu’elle a réussi son baccalauréat dans les délais normalement prescrits, malgré la maladie. Elle a également obtenu durant ses études une bourse de maîtrise et une bourse de doctorat. Plus récemment, en novembre 2011, elle a reçu le prix de l’Association des jeunes diplômés de l’Université Laval. Ce prix est offert chaque année à quatre diplômés qui se sont distingués dans leur carrière; il s’agit de l’un des plus prestigieux de l’Université Laval. C’est sa réussite avec la clinique Amis-Maux qui lui a permis d’obtenir cette reconnaissance. Entrevue avec une femme de carrière au grand coeur.
Considérez-vous que votre enfance a été grandement perturbée par la fibrose kystique?
Le diagnostic est tombé lorsque j’avais deux mois et demi. Cependant, c’est à l’adolescence que la maladie a pris plus de place, en ce sens que j’ai découvert assez rapidement mes limites physiques et ressenti la différence entre moi et les autres jeunes de mon âge. J’ai choisi un programme sports-études en nage synchronisée. Au début, j’avais du mal à rester sous l’eau plus de 13 secondes – en comparaison, les autres retenaient leur respiration une trentaine de secondes. Malgré tous mes efforts en entraînement, je n’arrivais pas à obtenir les mêmes résultats que les autres.
Toutefois, je crois que cet entraînement m’a sauvé la vie, en dépit de ce qu’en disaient les médecins. L’humidité, l’eau et l’entraînement de 15 à 20 heures par semaine me faisaient le même effet que des séances de clapping. À une certaine période, mes capacités respiratoires avaient même atteint un taux de 113 %.
Pourquoi avoir choisi la nage synchronisée plutôt que la danse, par exemple?
J’aimais ça! J’avais vu Caroline Waldo aux Olympiques de 88 et j’avais été très impressionnée. Je rêvais d’accomplir les mêmes choses; je crois que j’avais le talent, mais pas la résistance nécessaire. La dernière année du programme sports-études, j’ai même gagné les championnats provinciaux en solo dans la catégorie novice. Au cégep, j’ai opté pour la compétition en natation; je n’ai rien gagné comme tel, mais j’ai participé aux championnats provinciaux, et je terminais parmi les cinq ou six premières en style libre, qui était ma spécialité. Durant ma deuxième année de cégep, je me sentais très faible, je perdais beaucoup de poids et je n’avais plus aucune réserve, j’ai donc dû ralentir la compétition. Les médecins ont découvert un an plus tard que je souffrais également de diabète; je devais dorénavant m’injecter de l’insuline. Quel choc à cette époque!
Une fois à l’université, pourquoi vous êtes-vous orientée en psychologie? Quels obstacles avez-vous dû franchir pour réussir?
D’abord, je suis très curieuse du comportement humain. Vers l’âge de sept ans, j’ai confié à ma mère que j’aurais voulu être curé pour savoir ce qui se dit à confesse, ce qui se passe dans la vie des gens! Je cherche toujours à comprendre le comportement humain, sans juger, une curiosité pure et simple.
Je suis entrée à l’université à 19 ans; un an plus tard, j’ai commencé à me sentir moins bien et j’ai dû aller de plus en plus souvent à l’hôpital, à cause de ma cirrhose du foie qui causait des hémorragies internes (varices œsophagiennes qui éclatent). J’étais très performante; je voulais obtenir des bourses à la maîtrise et au doctorat. Grâce à l’aide de mes amis qui m’apportaient leurs notes de cours à l’hôpital ainsi qu’à mon tempérament combatif, et en répartissant mes cours sur des sessions d’été, j’ai réussi à obtenir l’une des trois bourses pour la maîtrise, puis une autre pour le doctorat, le tout dans les délais d’études prescrits.
En 2003, pendant votre doctorat, vous avez lancé votre clinique Amis-Maux. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Dans le cadre d’un travail hors thèse, je me suis penchée sur la zoothérapie. Avant de choisir la psychologie, j’ai envisagé d’être vétérinaire, mais comme l’aspect biologique ne m’intéressait guère, j’ai préféré m’orienter vers l’étude des comportements humains.
Par ailleurs, mes études de doctorat, qui portaient sur la neuropsychologie, m’ennuyaient un peu. À cette époque, mes nombreux séjours à l’hôpital m’ont fait réaliser que le système de santé actuel est parfois tel qu’il nous fait nous sentir comme des numéros. J’ai donc cherché à faire ma part et à aider à humaniser les soins de santé grâce aux animaux. Selon moi, ces derniers font ressortir le côté le plus pur de l’être humain, le plus calme, le plus beau.
Le fait de créer ma clinique constituait un nouveau défi pour moi. Les débuts ont été difficiles; on voulait m’observer avant de me donner ma chance. J’ai soumis des demandes aux programmes d’aide aux employés, approché les écoles, les médecins, les cliniques… Cependant, le jour où j’ai commencé à miser sur le fait que j’étais psychologue diplômée, on a commencé à me prendre au sérieux.
C’est la première clinique de ce genre au Québec. Actuellement, une équipe d’une douzaine de médecins envisagent d’ouvrir une clinique près de la nôtre et souhaitent s’affilier avec nous. C’est un nouveau projet, le rêve de tout intervenant de travailler avec les médecins.
Quelles sont les méthodes d’intervention que l’on utilise chez Amis-Maux?
Nous donnons des conférences, nous allons dans les garderies, dans les écoles, dans les entreprises, nous rencontrons les gens de façon individuelle ou en groupe. Nous offrons aussi des services de consultation par téléphone, par courriel et par Skype; c’est plus difficile, car nous ne pouvons pas lire le langage corporel, mais ça peut faciliter les choses pour les gens très occupés, ou par exemple pour les gens qui sont malades, agoraphobes, qui sont gênés ou qui ne veulent pas de rendez-vous face à face tout simplement. Toutefois, c’est une pratique courante ailleurs dans le monde, notamment en France.
Quelle est votre méthode d’intervention favorite?
Assurément les conférences. C’est très valorisant pour moi. Des gens qui ont assisté à l’une de mes conférences il y a trois ans m’écrivent encore des courriels. Je sens que le fait de parler de mon expérience de vie apporte beaucoup à ceux qui y assistent. Entre autres, les conférences que je donne aux groupes de personnes âgées sont pour moi les plus enrichissantes, car je vois dans leur attitude que mes propos les rejoignent vraiment. Certaines viennent me voir après en me disant que je leur ai fait réaliser qu’elles ne sont pas seules à vivre ces émotions, ces expériences difficiles, et qu’il est possible de tenir le coup. Par ailleurs, ma curiosité envers la vie des autres est satisfaite par mon rôle de superviseure à la clinique, par les consultations avec les intervenants qui me demandent conseil sur certains dossiers.
J’aime aussi beaucoup jouer le rôle de consultante dans les médias, par exemple pour donner des entrevues à la radio ou des conseils à la télévision sur différents sujets. En effet, j’adore la communication. Les conférences me permettent de joindre un grand nombre de personnes à la fois, de découvrir les expériences des autres et surtout d’avoir de la rétroaction.
Vous avez subi une greffe du foie en 2010. Comment avez-vous vécu cette expérience?
J’ai été alitée chez moi six mois avant d’entrer à l’hôpital pour la greffe. J’avais l’air d’une femme enceinte de neuf mois, le ventre rempli d’ascite, un liquide produit par un foie malade. Les médecins ne voulaient pas me placer sur la liste d’attente, car on me considérait comme étant dans la « zone grise », c’est-à-dire malade, mais pas assez… Un jour de fin janvier 2010, où j’étais à l’urgence pour me faire faire une ponction d’ascite de cinq litres, j’ai même demandé à mon médecin de Québec de m’aider à mourir puisque je souffrais énormément et que je ne voyais aucune autre solution… C’est à ce moment que les choses ont commencé à bouger.
Des spécialistes de l’Hôpital Saint-Luc à Montréal ont alors évalué mon état et décidé de me mettre en urgence sur la liste d’attente de greffe. Étant donné l’urgence de ma situation, j’étais censée attendre au plus trois semaines; toutefois, comme il y avait pénurie de foies (je suis de type 0+, un type très courant), j’ai dû attendre trois mois à l’hôpital en espérant malgré tout un miracle. Pendant cette période, j’étais nourrie par intraveineuse parce qu’incapable de manger. Quand j’ai reçu mon foie, il était minuit moins une!
Par ailleurs, comme je suis également atteinte d’ostéoporose et que l’on me donnait beaucoup de cortisone, je me suis fracturé 24 côtes en deux ans; à un certain moment pendant ces mois d’attente à l’hôpital, cinq fractures des côtes se sont ajoutées à ma souffrance. Le mucus restait coincé dans mes poumons; j’étais sous oxygène en permanence. Les médecins ont envisagé à un certain moment une greffe de poumons, mais il m’aurait fallu prolonger l’attente et ils n’étaient pas certains que je pourrais attendre si longtemps et que je survivrais à l’opération.
Comment avez-vous réussi à traverser cette période d’attente et d’incertitude?
Dès l’âge de 25 ans environ, après mes études en psychologie, je me suis intéressée à tout ce qui touche la mort et la spiritualité. J’ai tenté ainsi d’apprivoiser ma propre mort, et cette préparation m’a beaucoup aidée. J’étais très sereine dans cette attente. J’en étais au point où les deux options, la greffe et la mort, étaient aussi souhaitables l’une que l’autre, en ce sens qu’elles me soulageraient de mes souffrances.
Je crois que nous sommes sur la Terre pour apprendre, que nous sommes à l’école de la vie. Il s’agit d’une sorte de terrain de jeu, pour apprendre à aimer de façon inconditionnelle, pure et simple, soi-même et les autres. C’est cette conviction qui m’a aidée à passer à travers la greffe, de penser que chaque expérience de la vie est utile et nous apprend quelque chose. J’essayais de vivre dans la gratitude, envers le personnel infirmier, les médecins, ma famille. J’ai lu un jour cet adage : « Envier ce que l’on n’a pas, c’est gaspiller ce que l’on a ». Ce sont mes lectures et mes méditations qui m’ont aidée à traverser cette période d’attente et de douleur.
J’ai quand même vécu des moments de découragement, c’est inévitable à force de souffrir, de voir sa qualité de vie se dégrader, de devenir dépendante des autres même pour aller aux toilettes et se laver (c’est très difficile pour quelqu’un d’extrêmement indépendant!).
Comment avez-vous vécu la période après la greffe?
Ce fut une grande désillusion. La souffrance n’a pas cessé. Ça a été un choc monumental pour moi. Je n’avais jamais envisagé cette troisième option, selon laquelle la souffrance ne cesserait pas malgré la greffe. Je me suis même demandé si je n’aurais pas préféré mourir. Je me suis laissé aller, j’ai baissé les bras. J’avais perdu le goût de vivre. La moitié de mes cochambreurs à l’hôpital étaient décédés, certains avant la greffe, d’autres après. Le contrecoup de l’attente de greffe a été très fort. Remonter la pente a été si difficile pour moi que j’ai dû être hospitalisée pendant encore huit mois après ma greffe.
Je me souviens d’une entrevue de Guy Corneau qui parlait de sa lutte contre le cancer et disait qu’il avait trouvé la période de rémission plus difficile que le combat lui-même. J’ai alors été vraiment rassurée de savoir que je n’étais pas la seule à me sentir ainsi! Je me sentais terriblement coupable de ressentir toute cette frustration face à la douleur qui perdurait, alors que j’avais la chance d’avoir survécu grâce à une greffe.
Un an et demi est passé avant que je ne commence à voir la lumière au bout du tunnel. J’ai repris le travail progressivement il y a quelques mois; cela m’a beaucoup aidée, car je ne me sens plus inutile! Je me suis remise à donner des conférences, à accorder des entrevues dans les médias, sur différents sujets. Le fait de recommencer à travailler m’a beaucoup remonté le moral et redonné de l’énergie.
Cette épreuve a-t-elle changé votre philosophie de vie?
La performance est un aspect très important de ma personnalité. Cependant, la greffe m’a fait réaliser que tout compte fait, on perd sa vie à se stresser pour être performant. Peu importe le nombre de prix, de reconnaissances, de médailles, on finit tous en jaquette bleue. Peu importe son statut, prisonnier ou petite fille modèle, on doit tous passer par là et on est tous égaux face à la mort. Cette constatation a été un grand choc pour moi. D’abord, j’ai ressenti beaucoup de frustration, mais une fois ce fait accepté, je me suis sentie tellement libérée! C’est là que j’ai décidé de commencer à vivre pour moi plutôt que pour les autres.
Par contre, pendant un moment, il m’a semblé que ce n’était pas suffisant pour m’accrocher à la vie. Je me demandais à qui et à quoi je servais, je n’avais pas de copain, pas d’enfants, alors je ne voyais plus à quoi me raccrocher. J’ai réalisé que, même si je disparaissais, presque rien ne changerait dans la vie des gens. Ce fut un dur constat, toute une adaptation, un tournant important dans ma façon de voir les choses.
Aujourd’hui, je mise beaucoup sur la gratitude. Je tente de me concentrer sur tous les aspects positifs, de voir ce que j’ai plutôt que ce que je n’ai pas. Il y a toujours quelque chose qui va bien dans la vie. J’ai appris en neuropsychologie et par mes lectures en spiritualité et en physique quantique que tout est énergie et vibrations; je crois que lorsqu’on vit dans la gratitude, les fréquences du cerveau sont plus élevées et procurent des sentiments de joie et de bonheur, alors que les fréquences basses, qui correspondent à une baisse d’énergie, suscitent des sentiments plus négatifs. Il faut aussi garder la foi, faire confiance à la vie, toujours se fixer des objectifs pour trouver la force de se battre.
Et maintenant, quels sont les objectifs de Valérie, personnels et professionnels?
Sur le plan professionnel, j’aimerais en arriver à présenter une conférence par semaine. En outre, j’ai décidé de relever un nouveau défi : mettre sur pied une chaire de recherche sur l’humanisation des soins de santé. Ainsi, j’ai déjà réussi à parler en personne de cette chaire au ministre Bolduc et à M. Jean Charest; une rencontre devrait avoir lieu au cours des prochaines semaines – c’est très excitant!
Sur le plan personnel, je me suis fixé trois objectifs. Le premier consiste à prendre soin de moi – bien manger, bien dormir, m’amuser, tous les jours, cesser d’être constamment dans l’effort. J’ai souvent négligé ces aspects de ma vie au profit de la performance. Le deuxième vise à me sentir utile, notamment en donnant plus de conférences au nom de la clinique Amis-Maux et de concrétiser mon projet de chaire. Enfin, le dernier et non le moindre, trouver l’amour!…
Le mot de la fin?
Au sujet de sa lutte contre le cancer, Guy Corneau a dit qu’il lui avait fallu trouver du plaisir au quotidien, s’amuser, que c’est ainsi qu’il a pu se raccrocher à la vie. Pour ma part, le bricolage, le dessin, le scrapbooking m’ont sauvée après la greffe. En effet, pendant mon interminable séjour à l’hôpital, ma mère m’achetait le matériel dont j’avais besoin; cette activité, ce petit plaisir, me motivait à me lever chaque jour, à manger, à boire, à vivre. Ainsi, j’ai compris qu’il n’est pas toujours nécessaire de se fixer de gros objectifs… Il suffit de se faire plaisir, chaque jour, un petit plaisir tout simple, et toute la journée sera plus lumineuse.