Publié dans le SVB 2006
L’incontinence urinaire est un problème fréquent chez la femme. On estime qu’elle touche de 10 à 55 % des femmes de 15 à 64 ans. Une recherche menée par Hampel démontre que l’incontinence urinaire à l’effort a été identifiée, dans tous les pays européens étudiés, comme une forme distincte et très courante d’incontinence urinaire chez la femme. Il était toutefois difficile d’estimer précisément combien de femmes étaient touchées par l’incontinence urinaire à l’effort, à cause des différences dans la façon dont l’affection est définie, diagnostiquée et étudiée à travers l’ensemble de la littérature des pays étudiés par Hampel (1).
Bien que l’incontinence urinaire à l’effort ne soit pas une affection dangereuse, elle peut s’avérer embarrassante socialement et nuire à la qualité de vie. Pour beaucoup de femmes touchées par ce problème, il n’est pas facile d’en parler. Elles tentent donc généralement d’affronter seules le problème et malheureusement, elles persistent souvent pendant une longue période de temps à ne pas aborder la question avec un professionnel : elles boivent moins, vont uriner plus souvent afin de garder leur vessie vide, portent des serviettes et évitent de participer à des rencontres sociales et de faire du sport. Les raisons qui amènent les femmes à consulter un professionnel reposent sur leurs croyances, sur leur attitude et sur les connaissances qu’elles possèdent au sujet de l’incontinence urinaire à l’effort. L’aggravation du problème et, de ce fait, la peur que d’autres personnes perçoivent l’odeur d’urine, représente une des plus importantes raisons pour laquelle les femmes demandent de l’aide (2).
Traitement
La rééducation du périnée (ou plancher pelvien), qui constitue l’une des méthodes de traitement de l’incontinence urinaire à l’effort, consiste à exercer et à renforcer les muscles du pelvis. Jusqu’à ce jour, plusieurs études ont démontré que les exercices du périnée tiennent lieu de traitement efficace de l’incontinence urinaire à l’effort chez la femme et sont en fait recommandés comme traitement de première intention (3) : sur 43 études portant sur les exercices du périnée, 42 indiquent que ces exercices ont un effet bénéfique (4). De plus, l’entraînement des muscles du périnée a l’avantage de n’occasionner aucun effet secondaire et de procurer des bienfaits à long terme (5). Soulignons au passage que les femmes sont plus susceptibles de profiter des bienfaits de ces exercices si elles apprennent la bonne technique, si elles sont motivées à faire les exercices et si elles les font régulièrement. La plupart des femmes ont besoin de motivation et d’encouragement pour effectuer régulièrement les exercices du périnée. La connaissance qu’a le médecin du comportement et de l’attitude de la patiente à l’endroit du traitement, ainsi que son habileté à lui donner des explications et de la motivation peuvent s’avérer des facteurs déterminants dans l’assiduité de la patiente à faire ses exercices (6, 7, 8). Toutefois, les patientes constateront généralement une amélioration de leurs symptômes plutôt qu’une guérison, car le périnée n’est pas le seul facteur en cause dans le maintien de la continence. Enfin, une amélioration du muscle du périnée n’entraîne pas toujours une amélioration du mécanisme de la continence.
Mécanisme de la continence
Notons d’abord que pour que la continence soit maintenue, la pression dans l’urètre, qui est un tube transportant et évacuant l’urine de la vessie à l’extérieur du corps, doit être supérieure à la pression dans la vessie. Normalement, un certain degré de pression garde l’urètre fermé (pression de fermeture) mais lors d’un effort, par exemple lors d’une toux ou d’un éternuement, la pression qu’exerce l’abdomen sur la vessie augmente. Afin de prévenir une fuite d’urine pendant cet effort, la pression dans l’urètre doit alors demeurer supérieure à la pression dans la vessie. C’est à ce moment que l’urètre requiert l’assistance des muscles du périnée pour faire contrepoids à la hausse de la pression dans la vessie. Chez certaines femmes, la pression de fermeture de l’urètre est très faible et ne peut être compensée par les muscles du périnée; dans un tel cas, même des muscles très forts ne pourront contrebalancer l’augmentation de la pression à l’intérieur de l’abdomen. Ce facteur peut limiter les bénéfices qu’apportent les exercices du périnée.
Certains auteurs accordent une grande importance au fascia endopelvien lorsqu’il s’agit de mieux comprendre les causes de l’incontinence urinaire à l’effort. Le fascia endopelvien est un tissu conjonctif qui retient ensemble l’appareil urinaire et l’appareil génital à l’intérieur du pelvis. Ce tissu conjonctif est principalement composé de collagène, lequel a pour fonction de stabiliser mécaniquement les structures des appareils urinaire et génital. Par conséquent, des troubles relatifs au collagène peuvent se manifester soit par des dysfonctions, comme l’incontinence urinaire à l’effort, soit par des défauts structurels, tels que le relâchement pelvien pouvant occasionner un glissement vers le bas des organes contenus au-dessus du périnée (appelé aussi prolapsus). Chez les femmes souffrant d’un prolapsus génital ou d’incontinence urinaire à l’effort, des examens au microscope et en laboratoire ont démontré la présence de dommages du tissu conjonctif. Les chercheurs ont aussi observé une réduction importante de la quantité de collagène chez les femmes souffrant d’incontinence urinaire à l’effort. Par ailleurs, les exercices du périnée ne peuvent compenser des défauts importants du collagène (9, 10). Il s’agit donc d’un second facteur pouvant limiter les effets des exercices du périnée.
Des dommages aux nerfs du pelvis semblent aussi avoir un effet fondamental sur l’accumulation et la répartition du collagène. En effet, la dégradation des nerfs contribue à la diminution de la concentration de collagène (11). Des études spécialisées portant sur les muscles et les nerfs du périnée ont démontré plusieurs faits importants (12, 13). Premièrement, les muscles du périnée s’affaiblissent avec l’âge : les femmes qui n’ont jamais accouché et qui ne souffrent pas d’incontinence urinaire à l’effort ou de prolapsus présentent une détérioration graduelle des nerfs des muscles du périnée en vieillissant. Deuxièmement, les accouchements provoquent une dysfonction nerveuse : les femmes qui ont accouché mais qui ne souffrent pas d’incontinence urinaire à l’effort ou de prolapsus, présentent en vieillissant une détérioration des nerfs des muscles du périnée supérieure aux femmes qui n’ont jamais accouché. Troisièmement, les femmes souffrant d’incontinence urinaire ou de prolapsus présentent une détérioration beaucoup plus importante des nerfs et des muscles du périnée que les femmes des deux autres groupes. En résumé, nous pouvons affirmer d’une part, que la détérioration des nerfs du périnée fait partie du processus normal du vieillissement chez la femme. D’autre part, ces études montrent que la détérioration des nerfs et des muscles du périnée se trouve toutefois aggravée par les accouchements et qu’elle est plus marquée chez les femmes qui souffrent d’un relâchement pelvien ou d’incontinence urinaire à l’effort. Le vieillissement, les accouchements ainsi que l’effort chronique de défécation, (14) constituent tous des facteurs de prédisposition à la détérioration des nerfs du périnée. Le degré de détérioration déterminera si les muscles du périnée peuvent être renforcés par des exercices. Il s’agit de toute évidence d’un autre facteur limitant les bienfaits de ces exercices.
Certains éléments du mode de vie peuvent aussi provoquer l’augmentation de la pression sur le périnée et possiblement prédisposer à l’incontinence urinaire à l’effort. Parmi ces facteurs, on note l’obésité, les efforts intenses et la toux récurrente (maladies respiratoires chroniques). Un groupe de chercheurs dirigé par Noblett a émis l’hypothèse que l’obésité pourrait entraîner une augmentation du stress exercé sur les structures du périnée. L’obésité a d’ailleurs été associée à une augmentation du risque d’incontinence urinaire dans de nombreuses études (15, 16, 17). Quant aux efforts intenses, aucune preuve n’indique à ce jour que les exercices nécessitant un effort intense provoquent l’incontinence urinaire à l’effort ou un relâchement pelvien. Bien que l’incontinenceurinaire à l’effort soit un problème courant, les activités impliquant des efforts intenses ou une augmentation importante de la pression dans l’abdomen ne provoquent aucune fuite chez la plupart des athlètes. Il est toutefois possible que les activités exigeant un tel effort révèlent ce problème chez les femmes déjà à risque (18). Enfin, la toux contribue au développement précoce de ces défauts anatomiques induits par la pression exercée sur le périnée. À mesure que les problèmes thoraciques tels que la toux s’aggravent, l’incontinence urinaire à l’effort est aussi susceptible de devenir plus gênante (19).
L’incontinence urinaire à l’effort chez les femmes atteintes de fibrose kystique
Les femmes fibro-kystiques présenteraient un risque particulier de développer l’incontinence urinaire à l’effort, puisque leur maladie pulmonaire est associée à une production d’expectorations et à une toux fréquente dans le cadre de leur routine de libération des voies pulmonaires. En effet, pendant la toux et l’expiration forcée, les muscles du périnée doivent se contracter vigoureusement afin de contrebalancer l’élévation de la pression à l’intérieur de l’abdomen. Si les muscles sont trop faibles pour pouvoir exercer ce contrepoids, cela provoquera l’incontinence urinaire à l’effort.
Dans une étude portant sur 55 adolescentes atteintes de fibrose kystique, plusieurs facteurs pouvant contribuer au développement de l’incontinence urinaire ont été examinés (âge, indice de masse corporelle, gravité de l’atteinte pulmonaire, diabète, constipation et apparition des premières règles). Il semble toutefois qu’aucun de ces facteurs n’ait un lien avec l’incontinence, ce qui suggère que la toux serait seule responsable de l’apparition de l’incontinence urinaire à l’effort. L’incontinence urinaire à l’effort est apparue à l’âge de 13 ans chez la plupart des adolescentes questionnées dans le cadre de cette étude. 22% d’entre elles ont signalé une incontinence de jour deux fois par mois ou plus (20). Une autre étude menée par Cornacchia (21) a porté sur 176 femmes atteintes de fibrose kystique âgées de 15 ans et plus. Parmi ces femmes, 22 % souffraient également régulièrement d’incontinence urinaire. Par ailleurs, une autre étude, celle-ci
menée par Orr (22), indique que 80 à 100 % des femmes atteinte de fibrose kystiques âgées de 35 ans et plus éprouvent des problèmes de fuites urinaires, comparativement à 35 % de la population ne souffrant pas de fibrose kystique. Selon cette même étude, 64 % des femmes atteintes de fibrose kystique âgées de 16 à 20 ans vivraient ce problème, comparativement à 12,8 % dans le reste de la population.
L’identification et le traitement de l’incontinence urinaire à l’effort chez les patientes atteintes de fibrose kystique peuvent s’avérer problématiques. D’abord, les patientes sont réticentes à demander un traitement pour l’incontinence urinaire à l’effort, et ce, en dépit de la détresse provoquée par les fuites, de la nécessité d’utiliser des serviettes hygiéniques et des conséquences que ce problème peut avoir sur leur traitement de physiothérapie. On peut penser que l’incontinence urinaire constitue pour les femmes atteintes de fibrose kystique un problème mineur en regard de leur maladie pulmonaire et que c’est la raison pour laquelle elle est rarement évoquée par celles-ci. Par ailleurs, il est également possible qu’elles se sentent embarrassées d’aborder un tel sujet : les femmes ont généralement plus de facilité à discuter d’incontinence urinaire lorsqu’on leur pose la question plutôt que lorsqu’elles doivent ellesmêmes signaler le problème (23). Enfin, la présence de la toux chronique chez les femmes atteintes de fibrose kystique représente un obstacle à la réussite du traitement de l’incontinence urinaire à l’effort (24).
Malgré ces difficultés, une étude menée par Mc Vean (25) et portant sur un groupe de 12 femmes atteintes de fibrose kystiques a indiqué une amélioration des symptômes d’incontinence urinaire à l’effort sur une période d’environ 13,1 semaines. Bien que la portée à long terme sur une population plus importante doit être évaluée, cette étude souligne quelques faits importants et plutôt préoccupants. Premièrement, peu de patientes ont demandé de l’aide et celles qui ont consulté un professionnel étaient réticentes à subir une évaluation par un physiothérapeute spécialisé. Deuxièmement, toutes ces patientes ont trouvé que les exercices du périnée étaient ardus, ont éprouvé de la difficulté à les intégrer à leur programme de traitements déjà très long et n’ont pas fait les exercices aussi souvent que prescrit. Finalement, plus de la moitié de leurs rendez-vous chez le physiothérapeute ont été annulés ou manqués pendant la durée du traitement. De toute évidence, le traitement de l’incontinence urinaire à l’effort doit être adapté afin de répondre aux besoins des femmes atteintes de fibrose kystique, tout comme des exercices thoraciques adaptés peuvent contribuer à renforcer les muscles et à améliorer la fonction pulmonaire chez les personnes atteinte de la maladie. Il serait intéressant en ce sens d’étudier l’effet possible des exercices thoraciques sur le développement de l’incontinence urinaire à l’effort et sur le résultat des exercices du périnée.
Conclusion
L’incontinence urinaire à l’effort est un problème courant chez les jeunes femmes atteintes de fibrose kystique. Il est possible de traiter efficacement ce problème, mais étant donné que les patientes le signalent rarement et tendent à avoir de la difficulté à effectuer régulièrement les exercices du périnée, les cliniques de fibrose kystique devraient aborder régulièrement le problème d’incontinence urinaire avec leurs patientes et les informer à ce sujet. Les exercices du périnée devraient également faire partie du programme de traitement standard chez les jeunes patientes. Par ailleurs, les patientes qui ne font pas leurs exercices du périnée de façon régulière ne verront qu’une amélioration limitée de leurs symptômes. Il est donc évident qu’un appui constant, des encouragements et un suivi continu sont nécessaires pour que les patientes exécutent leurs exercices adéquatement. Enfin, de plus amples recherches seront nécessaires pour étudier les résultats à long terme et les facteurs qui limitent le succès des exercices du périnée chez les femmes atteintes de fibrose kystique.
Par Michelle Van Nylen, M.Sc. Physiothérapeute
Hôpital Académique de l’Université Libre de Bruxelles
Bruxelles Belgique
NDLR: Les notices bibliographiques sont dans l’édition PDF