Dr André Cantin
Pneumologue
Professeur titulaire Service de pneumologie
Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke (Québec)
Le 3 septembre 2021
La fibrose kystique est une maladie héréditaire. Cette maladie survient lorsque l’enfant reçoit un gène Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator (CFTR) défectueux de chaque parent à la conception. La fibrose kystique se manifeste seulement si les deux gènes CFTR (un de la mère, l’autre du père) sont défectueux. Un parent porteur d’un seul gène CFTR défectueux n’a aucun symptôme et il est donc impossible pour le couple de savoir que leurs futurs enfants sont à risque de la fibrose kystique. Jusqu’à tout récemment cette maladie était décrite comme la maladie génétique « mortelle » la plus fréquente. Grâce à des avancées majeures en recherche, les soins aux patients font en sorte que cette description n’est plus vraie. Aujourd’hui, il est plus juste de dire que la fibrose kystique est une maladie génétique fréquente (au Québec, elle affecte une naissance sur 2 500 et 1 200 patients au total) et que le pronostic est très bon pour la majorité des patients, grâce aux nouveaux traitements, dont les modulateurs du CFTR.
La découverte de modulateurs du CFTR transforme tellement la vie des personnes atteintes de la fibrose kystique qu’elle s’apparente aux découvertes de l’insuline et de la pénicilline dans le traitement du diabète et des infections. Cependant, tout comme pour ces deux maladies, il reste encore des défis à relever en fibrose kystique. Si le passé est garant de l’avenir, la communauté de la fibrose kystique saura les surmonter avec brio — c’est certain.
L’absence de la protéine CFTR fonctionnelle dans les tissus affecte particulièrement les tissus caractérisés par des structures tubulaires produisant une abondance de mucus. Les tissus affectés comprennent les bronches, les sinus, le pancréas, le foie, l’intestin et les canaux déférents (canaux transportant les spermatozoïdes des testicules aux vésicules séminales). Il s’en suit une insuffisance pancréatique dès la naissance chez la majorité des nouveau-nés, ce qui entraine une mauvaise absorption des graisses, des vitamines et d’autres éléments nutritifs essentiels chez le nouveau-né. L’enfant peut présenter un blocage intestinal (iléus méconial) nécessitant une chirurgie d’urgence et/ou un retard de croissance accompagné de selles huileuses anormalement abondantes. L’atteinte bronchique se caractérise par des infections respiratoires à répétition. Sans un dépistage systématique de la fibrose kystique chez tous les nouveau-nés, le diagnostic et les traitements peuvent être retardés considérablement, ce qui entraine des effets néfastes à long terme. Heureusement, depuis trois ans le dépistage néonatal se fait sur la goutte de sang prélevée du talon de chaque enfant né au Québec. Cette initiative fait en sorte qu’il n’y a plus de retard diagnostic de la fibrose kystique. Les enfants reçoivent les soins appropriés très tôt, ce qui permet de préserver leur santé en attendant la correction du défaut de base avec un traitement modulateur du CFTR.
Pour mieux comprendre ce qu’est un modulateur du CFTR, il faut d’abord comprendre le défaut de base de la fibrose kystique. Le CFTR est une protéine qui normalement s’insère dans la membrane des cellules tout juste sous la couche de mucus. La fonction du CFTR est de contrôler le passage du chlorure et du bicarbonate dans le mucus. Plus il y a de chlorure dans le mucus, plus il y a de sodium. Le chlorure de sodium est le sel de table. Le sel dans le mucus attire l’eau, ce qui permet d’hydrater le mucus et de le rendre plus fluide. En absence de CFTR, le mucus contient peu d’eau. Le mucus devient très visqueux, colle aux tissus, et est alors difficile, voire impossible à dégager. L’effet bénéfique du CFTR est de fluidifier le mucus. Neuf personnes sur dix atteintes de la fibrose kystique ont le même défaut moléculaire du CFTR, une mutation appelée allèle F508del. Une thérapie pouvant corriger la fonction des protéines issues de cet allèle aiderait 90 % des personnes atteintes de la fibrose kystique. C’est ce que fait le nouveau modulateur du CFTR, le Trikafta.
Les études cliniques du Trikafta chez les personnes atteintes de fibrose kystique ayant au moins un allèle F508del ont permis de confirmer l’efficacité de la modulation du CFTR. Les personnes atteintes de la fibrose kystique ont des glandes de la sueur incapables d’absorber le chlorure, et leur sueur est donc particulièrement riche en sel. La concentration de sel dans la sueur des patients sous Trikafta diminue de 41,8 nmol par litre, ce qui démontre une correction très efficace du CFTR. De façon plus intéressante, après une semaine de thérapie, la fonction respiratoire s’améliore en moyenne de 14,3 points de pourcentage et cette amélioration se maintient à long terme. Les personnes traitées au Trikafta ont rapporté aux questionnaires CFQ-R une amélioration subjective de 20 points, ce qui est cinq fois plus élevé que le seuil minimal jugé cliniquement significatif. Plusieurs patients très sévèrement atteints (fonction respiratoire diminuée à moins de 30 % de la valeur normale) en attente de greffe pulmonaire se sont vus retirés de la liste de greffe et ont pu reprendre le travail et une vie active par suite du traitement avec Trikafta. Les besoins en enzymes pancréatiques et en insuline ont également diminué, et les dommages bronchiques notés à la tomodensitométrie du thorax ont diminué. Il s’agit de résultats inespérés qui donnent un énorme espoir pour la vaste majorité des personnes atteintes de fibrose kystique. Cependant, il existe certaines personnes ayant l’allèle F508del chez qui le Trikafta n’a pas les effets escomptés. De plus, 10 % des personnes atteintes de la fibrose kystique n’ont pas un allèle F508del et ne peuvent donc pas bénéficier du Trikafta.
Présentement, le seul autre modulateur du CFTR d’efficacité semblable au Trikafta est le Kalydeco, un médicament approuvé pour les personnes ayant un défaut précis du CFTR qui ne touche que 2 à 5 % des personnes atteintes de fibrose kystique. En revanche, il existe plusieurs autres pistes de solution pour les personnes chez qui ni le Trikafta ni le Kalydeco ne fonctionnent : les approches pharmacologiques traditionnelles et la thérapie génique.
En 2021, nous sommes toujours plongés dans la quatrième vague d’une pandémie qui semble s’éterniser. Un des rares bénéfices associés à cette pandémie est la propulsion de la technologie à ARN à l’avant-scène de la science. Nous avons tous entendu parler des vaccins à ARN, mais qu’elle est cette technologie à ARN? Le code génétique est composé de longues séquences de quatre bases nucléiques récurrentes liées ensemble par deux rubans de sucres appelés ribose (ou désoxyribose). Ce code génétique est emmagasiné dans les noyaux de nos cellules sous forme d’acide désoxyribonucléique ou ADN. Chacun de nos 30 000 gènes se trouve dans cet ADN qui constitue notre génome. Lorsque nos cellules fabriquent une protéine telle que le CFTR, elles font une copie d’une partie de notre génome, et cette copie spécifique à la protéine est composée d’acide ribonucléique, ou ARN. La molécule d’ARN est donc beaucoup plus petite que notre ADN génomique et elle code spécifiquement pour une seule protéine ou un seul bout de protéine. Le vaccin ARN contre la COVID-19 comprend de l’ARN copié d’une très petite partie du génome du virus SARS-CoV-2. Une fois que l’ARN entre dans une cellule humaine, deux choses se passent rapidement. Premièrement, la cellule commence à détruire l’ARN viral de sorte que le matériel viral ne s’intègre jamais dans notre génome et deuxièmement, nos cellules utilisent l’ARN pour fabriquer la protéine spécifiée par son code génétique. Cette protéine induit la réaction immunitaire qui nous permet d’être protégés contre la COVID-19. L’ARN est ensuite complètement éliminé de nos cellules.
La technologie à ARN constitue donc un nouvel outil très utile pour livrer à l’intérieur de nos cellules des protéines thérapeutiques ayant un effet transitoire sans toucher à notre génome. Des chercheurs ont utilisé cette technologie pour inhiber l’absorption excessive du sodium par la protéine ENaC qui est une conséquence directe de l’absence du CFTR, et pour supprimer les erreurs de transcriptions caractéristiques des allèles CFTR défectueux que l’on retrouve majoritairement chez le 10 % des patients qui ne répondent pas au Trikafta.
Il y a également des avancées majeures en thérapie génique utilisant une technologie d’intégration permanente de l’ADN du CFTR normal dans le génome de cellules bronchiques défectueuses. Jusqu’à récemment, la thérapie génique à l’ADN rencontrait de sérieux obstacles liés à la sécurité et à l’efficacité thérapeutique pour corriger le CFTR. Des découvertes importantes dans les domaines du CRISPR Cas9 (l’équivalent de ciseaux moléculaires téléguidés) et des vecteurs (outils pour livrer un gène à une cellule) ont permis à des chercheurs du Sick Kids Hospital de Toronto et d’ailleurs de transférer le gène CFTR normal et fonctionnel de façon sécuritaire dans le génome des cellules. Ces recherches ouvrent la porte à des études de la thérapie génique pour les personnes atteintes de fibrose kystique qui ne répondent pas aux modulateurs du CFTR.
Enfin, la pharmacologie traditionnelle est également une source de grand espoir pour les patients ne pouvant pas bénéficier des modulateurs du CFTR. La vaste majorité des patients ne répondant pas aux modulateurs présente au moins un allèle de CFTR avec une mutation forçant l’arrêt prématuré de la transcription du CFTR. Il en résulte un défaut sévère de la fonction du CFTR et une maladie sévère. Une nouvelle molécule, le ELX-02, est en étude clinique chez ce groupe de patients. Pour l’instant, les études ciblent seulement les personnes ayant un allèle d’arrêt prématuré de la transcription du type G542X, mais si les résultats sont concluants les études pourraient s’étendre à d’autres personnes atteintes de fibrose kystique qui portent un allèle d’arrêt prématuré de transcription. Ces recherches touchent toutes les personnes atteintes de la fibrose kystique. Il n’y a jamais eu autant d’espoir en fibrose kystique qu’aujourd’hui. Plusieurs défis, dont l’accès aux médicaments, persistent et ne disparaitront pas sans nos efforts. Nous devons travailler ensemble pour appuyer les recherches en cours qui aideront 100 % des personnes atteintes de fibrose kystique et aussi pour assurer que tous puissent avoir accès aux nouveaux traitements ultra-efficaces le plus vite possible. L’union fait la force : soyons forts.