La recherche en fibrose kystique 2016
Plus de 4 000 médecins, infirmières, chercheurs et autres professionnels de la santé se sont réunis du 27 au 29 octobre 2016 à Orlando pour la 30e Conférence annuelle de fibrose kystique. Il s’agit du congrès le plus important sur la recherche et les soins aux personnes atteintes de fibrose kystique. Cette conférence connue sous le nom de North-American Cystic Fibrosis Conference (NACFC) a permis aux participants de marquer le trentième anniversaire de l’ère moderne des recherches en fibrose kystique. Il y a trente ans, en 1986, le gène responsable de la fibrose kystique n’était pas connu et le nombre de patients adultes suivis à la clinique de fibrose kystique de Sherbrooke était de seulement 6 alors qu’il y avait près de 40 enfants. Trente ans plus tard, non seulement le gène responsable de la fibrose kystique a-t-il été identifié, mais nous avons commencé à prescrire des médicaments dont le but thérapeutique est de corriger le défaut fondamental provoqué par les mutations du défaut fondamental, soit la protéine CFTR (Cystic Fibrosis transmembrane conductance regulator). De plus, nous avons maintenant dix fois plus d’adultes à notre clinique de fibrose kystique alors que le nombre d’enfants est resté le même. L’identification du gène responsable de la fibrose kystique, le développement des médicaments visant à corriger le défaut fondamental de cette maladie et l’augmentation fulgurante du nombre d’adultes suivis dans nos cliniques représentent des avancées spectaculaires tant au niveau de la recherche que dans la prise en charge des patients atteints de fibrose kystique.
Le gène responsable de la fibrose kystique fut identifié par une équipe canadienne et américaine dont le directeur était un jeune professeur de l’Université de Toronto appuyé par des subventions de Fibrose Kystique Canada, soit le docteur Lap-Chee Tsui. Le docteur Tsui a été un des premiers chercheurs à utiliser une technologie innovatrice et moderne qui est maintenant le standard en génétique médicale, soit l’identification d’un gène par une approche de génétique inverse. Auparavant, les découvertes de gènes associés à des maladies héréditaires nécessitaient la connaissance de la protéine défectueuse avant de pouvoir identifier le code génétique responsable de ce défaut. Le docteur Tsui a innové en utilisant une approche dans laquelle il n’avait pas à connaître la protéine défectueuse pour identifier le gène. Cette approche était basée sur des études épidémiologiques de populations de familles et d’individus atteints de fibrose kystique. Plusieurs des familles du Québec ont participé à ces travaux de recherche dans les années 1980 en donnant les informations médicales personnelles et en fournissant les échantillons de sang pour des analyses d’ADN. Cette implication extraordinaire des patients et des familles aux prises avec la fibrose kystique est un exemple formidable des bénéfices qu’une participation à la recherche clinique peut apporter à l’ensemble d’une population. Le docteur Tsui a utilisé l’information obtenue pour identifier des traits génétiques qui étaient transmis simultanément avec la maladie aux enfants. Certains de ces traits génétiques avaient déjà été cartographiés et la localisation de chaque trait génétique dans le génome humain a permis à l’équipe du docteur Tsui de s’approcher de plus en plus au site où se trouvait le gène défectueux. En 1989, ces chercheurs ont réalisé qu’ils venaient d’identifier le site exact de l’expression du gène défectueux et ils ont pu ainsi cloner ce gène, produire la protéine et commencer une grande séquence de recherche fondamentale ciblée sur les connaissances qu’offrait cette découverte exceptionnelle. Parmi ces découvertes, on retient le développement de plusieurs modèles de fibrose kystique chez l’animal, ce qui n’existait pas auparavant. Il y a également plusieurs nouveaux outils tels que des anticorps et des
cellules spécifiques au défaut du CFTR qui ont été développés et mis à la disposition d’autres chercheurs. À la suite d’un ensemble de découvertes découlant de l’identification du gène de la fibrose kystique, de nouvelles molécules pouvant corriger le défaut ont été identifiées et la recherche clinique a permis de mettre sur le marché deux nouvelles drogues pour une partie de la population fibrokystique. Ces nouveaux médicaments produits par la compagnie Vertex, sont connus sous le nom d’ivacaftor (Kalydeco) et la combinaison ivacaftor/lumacaftor (Orkambi).
Lors de la conférence NACFC, plusieurs travaux comportant des études cliniques ont été présentés et on note que les patients porteurs de mutations de classe III traitées par l’ivacaftor ont non seulement une correction importante de leur test à la sueur, ce qui reflète une correction du défaut fondamental, mais également une amélioration significative et soutenue de leurs fonctions respiratoires, de leur prise de poids et de leurs symptômes respiratoires. De plus, il a été rapporté que la charge inflammatoire des bronches chez les patients traités avec l’ivacaftor diminue et les cliniciens observent même chez certains individus une disparition de certains micro-organismes bactériens qui étaient auparavant chroniquement observés dans les sécrétions respiratoires de ces patients. Il y a donc des évidences qu’il est possible non seulement d’améliorer les symptômes et les signes de la fibrose kystique, mais d’en renverser certaines manifestations que nous croyions auparavant irréversibles. Malheureusement, l’ivacaftor n’est utile que chez une minorité de personnes atteintes de fibrose kystique, car ce médicament ne fonctionne pas pour les mutations des autres classes.
La mutation la plus fréquente au Canada chez les personnes atteintes de fibrose kystique est la F508d, soit une mutation de classe II. Les mutations de classe II font en sorte que la protéine CFTR est de structure anormale et cette protéine malformée se fait dégrader à l’intérieur de la cellule avant qu’elle puisse se rendre à la membrane pour effectuer son travail qui est de produire du sel et du bicarbonate dans le mucus. L’absence de sel et de bicarbonate dans le mucus favorise un mucus épaissi et nuit aux défenses antibactériennes de la surface des voies aériennes. Lors du congrès, plusieurs chercheurs ont démontré que l’acidification excessive du mucus en fibrose kystique peut contribuer à favoriser la croissance bactérienne. Il y a donc plusieurs travaux en cours pour tenter de découvrir des moyens pour contrer l’acidification excessive du mucus.
La thérapie la plus efficace pour corriger le défaut de sécrétion de chlorure de sel et de bicarbonate dans le mucus serait une thérapie qui permet à la molécule CFTR défectueuse du type F508d de se rendre à la membrane et de fonctionner. Le lumacaftor est une nouvelle molécule qui permet à la protéine CFTR de classe II de ne pas être dégradée et de se rendre à la membrane. Une fois à la membrane, le CFTR F508d a encore deux autres défauts à corriger, soit sa lenteur à s’ouvrir et sa tendance à disparaître rapidement de la membrane. L’ajout de l’ivacaftor au lumacaftor (Orkambi) permet non seulement au CFTR F508d de se rendre à la membrane, mais également de rester en position ouverte et fonctionnelle pour une période prolongée. Les études cliniques ont démontré qu’il y a une diminution entre 20 à 25 % de la quantité de sel dans la sueur lorsque les personnes homozygotes (F508d/F508d) pour cette mutation de classe II sont traitées avec l’ivacaftor/lumacaftor. De nouvelles données cliniques ont permis de confirmer l’efficacité partielle de cette médication pour cette tranche de la population atteinte de fibrose kystique. Il s’agit d’une correction partielle, mais qui est associée à une amélioration statistiquement significative de la fonction respiratoire et surtout une diminution d’environ 40 % du nombre d’exacerbations infectieuses. Malheureusement, cette médication n’est pas pour tous nos individus porteurs de fibrose kystique. Ce nouveau médicament ne fonctionne pas lorsqu’il n’y a qu’une seule copie du gène défectueux F508d. Il y a donc d’autres études cliniques en cours avec une nouvelle génération de molécules semblables ayant une plus grande capacité à corriger le défaut fondamental observé chez les individus porteurs de la mutation
F508d de classe II. Enfin, plusieurs autres chercheurs ont présenté des données préliminaires portant sur des approches moléculaires différentes permettant également de corriger la fonction du CFTR dans des modèles de cellules et chez le modèle animal. Ces travaux de recherche sont encore à l’étape préclinique, mais devraient assez rapidement faire l’objet d’études cliniques dans lesquelles les individus atteints de fibrose kystique seront appelés à participer.
Il existe d’autres travaux de recherche avec des molécules ayant un impact sur l’inflammation pulmonaire et systémique ainsi que sur le diabète et la maladie du foie (cirrhose). Ces différents travaux nécessiteront également la participation de plusieurs patients porteurs de fibrose kystique.
Dans ce contexte, il est très important de prendre connaissance des possibilités de participation à différentes études de recherche clinique. L’information concernant les différents programmes de recherche clinique est disponible chez Fibrose Kystique Québec et chez Fibrose Kystique Canada. De plus, les directeurs de cliniques de fibrose kystique à travers le Canada sont bien au courant des études en cours et pourront partager cette information sur demande.
Nous vivons des années très prometteuses en fibrose kystique et nous voyons déjà les avancées très importantes dans la survie et dans la qualité de la vie de certaines personnes traitées avec ou sans les nouveaux médicaments visant à corriger le défaut du CFTR. Il est essentiel que nous fassions encore plus et nous arriverons au but seulement en travaillant ensemble. Il est essentiel que les chercheurs et cliniciens continuent leurs efforts en recherche médicale et que les organismes charitables (ex. Fibrose Kystique Canada) appuient ces chercheurs. Il est encore plus important que jamais que les personnes atteintes de fibrose kystique s’informent et participent également à cet effort commun pour vaincre la fibrose kystique. Ensemble, nous y arriverons !
Dr André Cantin
Pneumologue – Professeur titulaire
Service de pneumologie Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke
Sherbrooke (Québec) CanadaNi?os