Entrevue avec Marine Miglianico,
psychologue et fondatrice de la clinique de psychologie positive de Montréal
Qu’est-ce que la psychologie positive ?
La psychologie positive est définie comme l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des personnes, des groupes et des institutions (Gable & Haidt, 2005). Cette science est née en 1998 lors du discours annuel de l’APA (American Psychological Association). Martin Seligman, alors président de
l’association et spécialiste de l’impuissance acquise, étudiait la dépression (Seligman, 1972). À l’époque, la littérature scientifique était composée d’un ratio de 21 études sur le dysfonctionnement humain, pour 1 étude sur le bon fonctionnement humain (Ben-Shahar, 2006). Or, il n’est pas rigoureux scientifiquement d’étudier uniquement la moitié d’un phénomène. En 1998, Martin Seligman fit un appel au développement des études portant sur les aspects positifs de l’être humain (Seligman, 1998). Quels sont les facteurs de bien-être, de motivation, d’autonomie ? Quelles sont les forces et vertus humaines et comment les développer ? Quels sont les impacts de l’altruisme sur le bien-être ? Quel rôle ont les émotions positives dans le fonctionnement humain ? Telles sont les questions auxquelles cette science essaie de répondre. Depuis plus de 20 ans, des milliers de recherches ont été faites sur le sujet à travers le globe (Compton & Hoffman, 2019 ; Snyder & Lopez, 2009). La psychologie positive et la pensée positive sont-elles synonymes ? La psychologie positive a souvent été amalgamée – à tort – à la pensée positive. La pensée positive se rattache à l’idée que si l’on perçoit le monde de manière positive, si l’on a des pensées positives, on provoque le positif dans nos vies.
Cependant, la réalité s’avère bien plus complexe (Norem & Chang, 2002). En effet, une pensée positive forcée peut à contrario renforcer l’état de souffrance qui est en attente d’être écouté, entendu et accepté. Carl Rogers, célèbre psychologue humaniste, a longtemps travaillé sur la notion d’acceptation inconditionnelle et a étayé dans
ses travaux l’importance d’apprendre à s’aimer dans tous nos états, bons comme mauvais, sans en rejeter aucun (Rogers, 1961). La psychologie positive, quant à elle, s’intéresse au développement des ressources psychiques permettant de dépasser les difficultés de vie (Sheldon & King, 2001).
En quoi la psychologie positive peut-elle être utile ?
Imaginons une analogie simple : nous pourrions comparer la vie à un voyage en bateau. Au fond de l’eau se trouvent des roches, qui représentent les difficultés que l’on rencontre. Le niveau d’eau représente les ressources psychologiques dont on dispose. Lorsque nous vivons des moments difficiles, nous devons puiser dans notre niveau d’eau afin d’y faire face. Cependant, si nous ne faisons que puiser dans notre niveau d’eau, à un moment donné, notre bateau se retrouve sur les roches. Et c’est souvent à ce moment-là que nous allons consulter un psychologue, qui va nous aider à identifier les roches, à réparer notre bateau et à anticiper les roches à venir. Et ce travail-ci est primordial.
Cependant, qu’en est-il de de notre niveau d’eau ? Il est également possible d’ajouter de l’eau sous le bateau, de développer des ressources psychologiques qui nous feront regarder plus sereinement les roches au fond de l’eau. La psychologie positive étudie et développe ces outils.
Quels sont les sujets phares étudiés par la psychologie positive ?
L’acronyme PERMA définit les piliers du bien-être (Seligman, 2018). Afin de développer notre bien-être,
cinq éléments sont particulièrement significatifs :
Les émotions Positives
L’Engagement
Les Relations positives
Le sens (Meaning)
L’Accomplissement de soi
Ainsi, ces sujets sont largement étudiés. Pour ce qui est des émotions positives, par exemple, la psychologie a spéculé que ces dernières n’étaient qu’un signal que tout va bien. Cependant, les recherches de Barbara Fredrickson (2004) ont démontré que ces dernières présentent deux avantages majeurs. Elles nous permettent de développer nos ressources psychiques (ajouter de l’eau sous le bateau), tout en nous aidant à prendre du recul quant à la situation. Le rire — à travers l’humour — peut permettre de tempérer les émotions liées aux événements douloureux, en gardant une attitude positive face à l’adversité (Edwards & Martin, 2014).
Pouvez-vous nous présenter un outil de psychologie positive ?
Récemment, les recherches portant sur l’autocompassion se sont développées (Neff, 2003). L’autocompassion se définit comme le fait d’être bienveillant envers soi-même dans les moments où l’on se sent inadéquat, en échec ou en souffrance (Neff & Vonk, 2009). Elle est une clef importante dans le développement de la santé mentale. En effet, souvent nous nous empêchons de ressentir ou de manifester de la compassion envers nous-même, de peur de devenir complaisant.
Cependant, la recherche nous démontre le contraire. En étant plus doux vis-à-vis de nous-même, nous avons davantage d’énergie pour nous mettre en action et ainsi dépasser les difficultés plus rapidement (Neff et al., 2007). L’autocompassion inclut trois éléments :La bienveillance envers soi-même : face à la tristesse, à la perte, ou à la souffrance, il est possible de se traiter comme l’on traiterait un être cher. Si un ami venait nous voir pour nous demander du soutien après un événement difficile, il ne nous viendrait pas à l’idée de lui répondre : « Tu n’arrives à rien, tu es nul ! » Pourtant, c’est ce que l’on a tendance à se dire à soi-même, en cas de difficulté. Changer son dialogue interne et se parler comme nous parlerions à un ami sont des processus particulièrement efficaces. Si l’exercice s’avérait toutefois difficile, il est possible de projeter notre situation sur un bon ami, et de noter ce que nous lui dirions pour le rassurer. Nous pouvons ensuite relire ces mots en les dirigeant vers nous.
La reconnaissance de notre humanité commune : lorsque l’on souffre, nous avons tendance à penser que nous sommes seuls à souffrir. Cependant, chaque être humain expérimente la souffrance dans sa vie, à divers niveaux. Savoir que nous ne sommes pas seuls à vivre des échecs ou de la souffrance enlève le poids de l’ostracisme psychique.
La pleine conscience : être pleinement conscient de ce que l’on vit signifie reconnaître et accepter le vécu actuel sans jugement, sans essayer de le changer. De nombreuses recherches en démontrent la plus-value dans la gestion de la douleur (Kabat-Zinn et al., 1985), dans la réduction du stress (Gotink, 2016), de l’anxiété et de la dépression (Goyal et al.,
2014).
Ainsi, les outils de la psychologie positive tels que l’autocompassion peuvent contribuer à améliorer le quotidien en nous permettant d’avoir un regard plus indulgent sur notre vécu. Créer des ressources psychiques permet de développer la résilience nécessaire au développement et au maintien de la santé mentale.