J’ai toujours été un gars très actif. Je mords quotidiennement dans la vie avec un optimisme à tout casser. J’ai pratiqué tous les sports en amateur en connaissant très bien mes limites. J’ai toujours désiré me dépasser en « suant » ma vie afin d’améliorer mon état de santé. À 25 ans, j’avais une vie pratiquement normale : conjointe, appartement, études, travail, sports quotidiens, implications sociales, etc. Le temps passa et la maladie laissa ses traces. En janvier 2010, à l’âge de 30 ans, un virus me terrassa pendant plusieurs semaines. C’est à ce moment-là que j’ai compris que je devrais passer par le même chemin que la plupart des personnes atteintes de fibrose kystique, c’est-à-dire la greffe. Mon état se dégradait rapidement et nous commencions à discuter de greffe avec mes pneumologues de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Lorsqu’on se fait suivre par les mêmes professionnels de la santé depuis des années, des liens d’attachement forts se développent. Plusieurs pleurs et frustrations se sont passés à cette époque dans leurs bureaux. Je me croyais plus fort que tout à ce moment-là. Je pensais que cette fatalité n’atteignait que les autres. Que moi, j’étais au-dessus de tout cela. Que j’étais plus fort que la maladie. Non, la maladie faisait son chemin et savait me mettre à l’envers à en pleurer toutes les larmes de mon être.
Lorsque l’on commence à parler de greffe, techniquement, cela veut dire que le corps est encore assez fort pour supporter deux autres années de traitements intensifs. Cela signifie également que le corps n’est plus assez fort pour vivre plus de deux ans. Il y a toujours deux côtés à une médaille. Ça change une perspective de vie! Graduellement, dans les mois qui ont suivi, j’ai été dans l’obligation de quitter mon travail avec tous les problèmes que cela peut impliquer. Ma vie a changé du tout au tout en près de six mois. Les finances en ont pris un coup. Dans mon couple, nous pensions bébé, nouvelle maison et promotions. Du jour au lendemain, je ne pensais qu’à moi, à mon avenir, un avenir qui ne serait peut-être pas. Pendant que mes collègues et amis continuaient d’avancer sur le plan professionnel, s’achetaient une maison et fondaient leur famille, je devais pour ma part mettre ma vie sur « pause » pendant quelque temps.
Je ne voulais pas imposer ma vie médicale à ma conjointe, toujours entre la maison et l’hôpital. Je l’ai quittée quelques mois plus tard. Une relation de sept ans qui prenait fin en raison de mon état de santé, état qui occupait désormais toute la place dans mon esprit. Du coup, ma vie sociale en a aussi souffert. J’ai perdu dans cette histoire beaucoup d’amis à qui je croyais pouvoir raconter mes peines, mes craintes et mes peurs. Tout malade vous le dira; nous sommes toujours seuls avec notre maladie. Personne ne pourra jamais vraiment comprendre ce que cela implique psychologiquement et physiquement de devoir se battre pendant près de deux ans pour notre vie. C’est un combat de tous les instants. « La vie, c’est court, mais c’est long des p’tits bouts ». (Dédé Fortin)
L’attente d’une greffe est interminable. Chaque jour, on se demande si c’est le bon. Est-ce que la pagette sonnera? Est-ce qu’on m’appellera? Les hospitalisations se multipliaient depuis janvier 2010. Je devais recevoir des antibiotiques par voie intraveineuse aux deux ou trois mois pour m’assurer que mon état demeure stable. Il m’arrivait souvent, à l’hôpital, de marcher seul dans les corridors et de pleurer parce que je me sentais en marge du reste de la population. En marge de mon propre groupe d’âge. Je côtoyais des personnes 2-3 fois plus âgées que moi, plus en santé que moi. À cette période de ma vie, j’étais rendu oxygéno-dépendant. Avec ma canule nasale, je me promenais partout et défiais, jour après jour, les regards multiples qui semblaient tous dire : « Il est si jeune pour être malade », une phrase que j’ai trop souvent entendue. Pourtant, il n’y a pas d’âge pour être malade. La maladie frappe à tout âge, n’importe quand et n’importe qui. Je m’accrochais à ma famille et mes amis qui étaient toujours présents. Je vivais des hauts et des bas. Les hauts me poussaient à me reprendre en main physiquement, à profiter des petites choses positives que la vie me réservait et à garder contact avec les gens qui m’étaient chers.
Les hospitalisations se succédaient tous les deux ou trois mois pour des périodes variant de deux à quatre semaines à chaque fois. Paradoxalement, chaque hospitalisation était différente, mais toutes se ressemblaient. L’ambiance, toujours la même. Les nouvelles et la progression de la maladie, toujours différentes. J’ai tissé beaucoup de liens intenses pendant cette période avec des gens vivant la même chose que moi. Je rencontrais enfin des personnes avec les mêmes craintes, les mêmes peurs et les mêmes appréhensions de vie. Toujours les mêmes discours revenaient. Serons-nous capables physiquement d’attendre jusqu’à la greffe? Est-ce que seule la mort nous guette? Nous avions tous l’impression d’être seuls au monde avec nos histoires et nos expériences. Toutefois, la seule chose qui nous poussait tous à poursuivre notre combat quotidiennement était l’espoir de la greffe. Tous, nous étions obsédés par l’appel. Beaucoup d’entre eux, malheureusement, le sont encore, obsédés par cet appel, qu’ils ne recevront peut-être jamais. Moi, j’ai eu la chance de recevoir deux poumons et un foie en santé. Je compte bien en profiter au nom de la personne qui fit don de ses organes et au nom des personnes en attente qui n’auront pas la chance de connaître ce second souffle de vie.
Pendant notre jeunesse, ma mère s’occupait de faire tous nos traitements religieusement. Aucun traitement, jamais, n’était manqué. Pour elle, la bataille contre cette maladie, pour sauver ses enfants, se menait au quotidien, dans notre routine de traitements et de prise de médicaments. Avant mes 10 ans, il n’existait aucune clinique pour adultes fibro‑kystiques. Ma mère prenait cela comme un message : « Vos enfants ne passeront pas l’âge de la maturité ». Avec le temps, nous vîmes s’établir les équipes spécialisées et les cliniques pour la clientèle adulte fibro-kystique, ce qui donna un répit à l‘imaginaire de ma mère qui voulait à tout prix que ses enfants lui survivent.
Je me revois adolescent, à quinze ans, debout au centre de ma cour d’école secondaire, regardant les murs extérieurs et me demandant bien quoi faire de mes dix doigts pour les trente-cinq prochaines années de ma vie. Je devais prendre une décision quant à mon orientation scolaire afin de choisir un travail qui saurait me combler et qui me permettrait de faire vivre femme et enfants. À cet âge-là, contrairement aux autres, je ne pensais pas du tout à ces choses-là. Les intervenants sociaux à l’hôpital nous faisaient bien comprendre que notre espérance de vie n’était alors que de vingt-cinq ans. À l’adolescence, mon frère et moi nous sommes posé les mêmes questions. À quoi sert toute cette bataille si, au final, nous ne pourrons que profiter maigrement de la vie qui se présente à nous? Les années ont passé et cette date d’expiration, étampée sur notre poitrine, s’est effacée lentement.
Les avancées médicales et le développement des programmes de greffe permettent aujourd’hui aux jeunes et moins jeunes patients atteints de fibrose kystique l’espoir d’un monde nouveau. Maintenant, nous pouvons espérer un futur lorsque nous pensons à la greffe pulmonaire et multi-organes. La greffe nous a sauvés. Elle nous a permis de voir l’aboutissement de nos rêves.
J’ai maintenant 33 ans et, debout au centre de la cour de mon école secondaire, regardant les murs extérieurs, je peux me dire que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette époque. Aujourd’hui, sans date d’expiration, je peux espérer le meilleur de la vie pour moi. Je suis seul devant mon avenir. Il n’en tient qu’à moi d’en profiter!
Témoignage d’Alexandre Grégoire
Montréal