Michèle Cloutier
Il y a une quinzaine d
’
années, j
’
ai eu un emploi d
’
été à l
’
AQFK. Un jour, la directrice de l
’
époque m
’
a
demandé
:
« J
’
imagine qu
’
on ne doit jamais vraiment accepter d
’
être atteint d
’
une maladie incurable
comme la fibrose kystique? ». Sa question m
’
a un peu surprise. Jusqu
’
alors, je n
’
y avais pas vraiment
pensé. En fait, je n
’
avais jamais eu à fournir des efforts afin d
’
accepter ma maladie, car elle ne me dé
rangeait pas trop. C
’
est quand les choses vont mal que ça devient plus difficile à a
ccepter. Dans mon cas,
il me semblait que je n
’
avais aucun mérite à trouver « facile d
’
accepter ma maladie ». Il faut dire que j
’
é
tais une des « chanceuses », puisque mes poumons étaient rarem
ent affectés par la maladie. Durant mon
enfance, c
’
était davantage mon système digestif qui me faisait la vie
dure. D
’
ailleurs, à ma naissance, on a
dû m
’
op
érer d
’
urgence pour une occlusion intestinale. J
’
ai été hospitalisée les six premières semaines de
ma vie, et c
’
est durant cette période qu
’
on m
’
a fait passer le test de la sueur. Ma mère m
’
a déjà raconté
qu
’
une fois de retour à la maison, le plus difficile pour elle éta
it de « tapocher » son bébé (le
clapping
) plutô
t
que de le cajoler. Aussi, mes parents ne m
’
ont jamais traitée d
’
une façon spéciale et ne m
’
ont jamais prise
en pitié parce que j
’
étais atteinte de fibrose kystique. À six ans, on a quitté l
a banlieue de Toronto pour
aller s
’
établir à Chicoutimi (oui, oui, encore à l
’
autre bout du monde!) Malgré les températures hivernales
de -30
̊
C, ma mère n
’
hésitait pas à m
’
envoyer jouer dehors tout emmitouflé
e.
À l
’
âge de dix ans toutefois, une épouvantable douleur au ventre m
’
a amené
e
à être opérée une deuxième
fois pour un iléus méconial. Mis à part cette épreuve et trois ch
irurgies pour des polypes nasaux, la fibrose
kystique a été
tr
ès indulgente envers moi durant mon enfance et mon adolescence.
Une grippe ou deux me
forçaient à prendre des antibiotiques oraux quelques semai
nes par année, mais je n
’
ai jamais dû être
hospitalisée pour des problèmes pulmonaires.
C
’
est pourquoi dans ma vie, la plupart du temps, la fibrose kystique
était le moindre de mes soucis. À l
’
adolescence, si on m
’
avait donné le choix entre guérir de la fibrose kystique o
u guérir de l
’
acné, j
’
aurais
choisi la deuxième option! Le cégep a ensuite été une période de r
enouveau pour moi. J
’
ai choisi d
’
étudier
en techniques de travail social. Durant mes études collégiale
s, la fibrose kystique ne me causait toujours
pas de problèmes particuliers. C
’
est à cette époque que me suis fait un premier chum. La mal
adie m
’
a
alors amené
e
à faire face à mon image corporelle. Même si je devais
me rappeler que j
’
étais chanceuse de
ne pas être « malade » et que c
’
étaient les chirurgies qui m
’
avaient sauvé la vie à deux reprises, j
’
étais mal
à l
’
aise d
’
exhiber deux énormes cicatrices en forme de croix sur le vent
re. Je me demandais si mon chum
me trouverait belle malgré cette déformation. C
’
est déjà stressant pour n
’
importe quelle femme de se
La non-invincible
mettre à nu devant son partenaire « la première fois », ma
is moi, j
’
avais l
’
impression de porter un masque
trompeur : habillée, j
’
avais l
’
air normal
…
mais sans vêtements, ah! j
’
avais un vice caché
!
Or, lors de cette première relation, de même que lors de
celles qui ont suivi, mes chums ont toujours trè
s
bien accepté mon corps. La plupart du temps, j
’
oubliais donc assez facilement mon complexe. Mais il
revenait me hanter à l
’
occasion, plus particulièrement lors de vacances à la plage. Je
jalousais les femmes
qui se promenaient en bikini alors que, moi, je portais un m
aillot de bain une-pièce. Je n
’
étais pas fière de
cette jalousie, mais je ne pouvais m
’
empêcher de me comparer aux autres femmes et d
’
avoir peur que mon
chum les trouve plus désirables que moi. Au fil du temps, j
’
ai travaillé sur moi et, depuis quelques années,
j
’
accepte mieux mon corps. J
’
ai hésité à parler de cet aspect de ma vie avec la fibrose k
ystique, parce que
ça me paraît tellement superficiel et empreint de vanité.
Quand je pense à tous ceux et celles qui souffrent
vraiment de la fibrose kystique, qui ont de la difficulté
à respirer, mon petit « problè
me
» me semble bien
insignifiant! Mais puisque j
’
ai décidé d
’
écrire mon témoignage personnel, aussi bien dire la vérité.
Après le cégep, ma santé allait toujours bien, mais j
’
ai alors vécu une crise existentielle : je ne savais plus
si je voulais être travailleuse sociale. J
’
ai alors déménagé à Montréal où j
’
ai entamé toute une série de
programmes d
’
études : un an en traduction, un baccalauréat en sexologie, un
DEP en secrétariat
…
Ce
chemin pimenté d
’
emplois divers m
’
a finalement ramené
e
à mes premières amours. En mai 2000, j
’
ai
obtenu un emploi en CLSC à titre de technicienne en travail
social au service de l
’
accueil psychosocial : j
’
avais enfin trouvé ma place! J
’
étais heureuse et je m
’
épanouissais sur le plan professionnel.
Sur le plan personnel, cela fait onze ans que je partage ma
vie avec l
’
homme que j
’
aime : Patrick. Nous
avons scellé notre union en nous mariant en juin 2003. Patrick a
toujours voulu des enfants. Moi, non. Ce
choix n
’
av
ait rien à voir avec la peur de transmettre la fibrose kyst
ique à mes enfants ou de ne pas vivre
assez longtemps pour les voir grandir. En fait, j
’
aimais simplement ma liberté. Mais, avec les années, mes
pensées et mes sentiments ont évolué. Après que Patrick ait
passé un test de dépistage de la fibrose
kystique et avec l
’
accord de mon médecin traitant, nous nous sommes lancés dans la g
rande aventure de la
conception, une aventure qui a duré plus de deux ans. Grâ
ce
à la science et au sympathique personnel d
’
OVO, une clinique de fertilité à Montréal, un traitement
de fécondation in vitro nous a permis de donner
naissance à deux merveilleuses petites filles (des jumelles
non identiques), Marie-Pier et Léanne. Elles
sont nées le 14 mai 2006 et sont en pleine forme!
C
’
est au cours de ma grossesse que j
’
ai pris conscience que j
’
étais vraiment atteinte de fibrose kystique et
que mes poumons n
’
étaient pas à toute épreuve. À la suite d
’
une grippe, comme je ne pouvais pas prendre
d
’
antibiotiques oraux durant la grossesse, j
’
ai dû être hospitalisée pour que l
’
on puisse m
’
administrer des
antibiotiques par voie intraveineuse. Moi qui ai une phobie des
aiguilles et des solutés, inutile de dire que
ces deux semaines d
’
hospitalisation ont été les deux plus longues de ma vie! Les hormones de
la grossesse
n
’
aidant en rien, je pleurais tous les jours
–
quelle honte! Honte de ne pas être plus forte pour mes bébés,
et honte parce que je pensais à toutes les personnes atteintes de
fibrose kystique qui doivent subir ce même
traitement plusieurs fois par année, alors que moi je m
’
apitoyais sur mon sort à la première hospitalisation
pour des problèmes pulmonaires en 32 ans! Comme travailleuse soci
ale, j
’
ai appris qu
’
on ne doit pas
minimiser sa propre expérience en la comparant à celle des a
utres, mais, les cordonniers étant les plus mal
chaussés, je considérais tout de même que ce que je vivais n
’
était rien comparé aux épreuves que devaient
traverser d
’
autres personnes atteintes de la maladie.
M
’
ayant toujours vue en assez bonne santé, mon conjoint ne s
’
était jamais inquiété au sujet de ma
maladie. Mais mon hospitalisation l
’
a quelque peu secoué lui aussi. On se rendait compte, t
ous les deux,
que je n
’
étais pas invincible et que ma santé pouvait se détériorer
. En pensant à mes deux bébé
s
à
na
ître, la
personne non invincible que je découvrais en moi commençait à sen
tir poindre l
’
inquiétude : jusqu
’
à quel
âge aurais-je la chance de voir mes enfants grandir? Une quest
ion qui, je crois, ne m
’
avait même pas
effleuré l
’
esprit auparavant.
Comme j
’
ai toujours eu tendance à oublier que je suis atteinte de fibr
ose kystique, après la naissance des
filles, j
’
ai été fidèle à moi-même. Je sortais trois fois par semaine
avec les enfants pour participer à
diverses activités. Je me couchais tard pour avoir du temps pour m
oi et lire. Mais semble-t-il que mon
corps tolérait difficilement mon rythme de vie et il n
’
a pas tardé à me le faire savoir. En février 2007, alors
que je n
’
avais même pas la grippe, je me suis rendu compte que j
’
étais essoufflé
e
à l
’
ef
fort. Durant mon
cours de hip-hop, j
’
avais tout à coup de la difficulté à suivre le rythme habituel
. J
’
ai donc commencé à
prendre mes antibiotiques, mais, au bout de deux semaines, mon VEMS
(qui avait baissé à 66 %, alors que
j
’
étais habitué
e
à une moyenne de 80 % et plus) n
’
avait pas augmenté du tout. Le médecin m
’
a alors
fortement encouragé
e
à être hospitalisée pour un traitement par voie intraveineuse;
j
’
étais découragée et j
’
avais peur. Au fond de moi, ma petite voix me disait
:
« Est-ce le début de la fin? »
Même si j
’
avais vécu difficilement le fait d
’
être hospitalisée au cours de ma grossesse, je me disais alors
que je n
’
aurais pas eu à subir un traitement par voie intraveineuse si
je n
’
avais pas été enceinte. J
’
aurais
tout simplement pris mes pilules comme à l
’
habitude et l
’
infection se serait résorbée. Mais cette fois-ci, je
n
’
étais pas enceinte. C
’
était vraiment la maladie qui me bravait, et je refusai
s de croire que j
’
étais rendue à
une autre étape de la maladie : celle où je serais obligée
d
’
ê
tr
e hospitalisée et de recevoir des traitements
intraveineux régulièrement. Peut-être par naïveté ou parce qu
e mes poumons avaient été indulgents envers
moi pendant 32 ans, j
’
avais toujours cru que je ne serais jamais hospitalisée. En fai
t, je vous l
’
avoue bien
humblement, mise à part la peur que ma santé puisse se détér
iorer, mon orgueil en prenait un coup. J
’
étais
fi
ère d
’
être une femme atteinte de fibrose kystique avec une santé pul
monaire exemplaire. Et voilà que je
perdais ce statut (même si je sais pertinemment que ma bonne
santé est une question de chance, de géné
tique!). Un travailleur social à la clinique de fibrose
kystique m
’
a aidé
e
à prendre conscience que le
traitement intraveineux était justement un outil pour retrouver
ma vitalité d
’
antan. C
’
est ainsi que cette
deuxième hospitalisation s
’
est déroulée en toute sérénité. Aucun pleur, et j
’
ai même eu du plaisir. De plus,
même si j
’
adore mes bébés
…
Ah! quel répit! Du temps pour me reposer, du temps pour lire!
Et en une
semaine mon VEMS était remonté à 92 %; de quoi redonner espoir!
Quoi qu
’
il en soit, je ne suis pas pressée de retourner à l
’
hôpital. Cette année, je semble avoir été épargné
e
(je touche du bois!). Je sais toutefois que je dois faire atten
tion à ma santé et essayer de changer mes
mauvaises habitudes, comme celle de me coucher tard! Voilà m
aintenant deux ans que je suis en congé de
maternité, et je retournerai travailler au CLSC à l
’
automne 2008. J
’
ai la chance d
’
avoir un poste de trois
jours par semaine, ce qui me permettra de préserver un juste éq
uilibre entre ma vie professionnelle, ma vie
de famille et ma vie de femme!
Je considère que j
’
ai beaucoup de chance de vivre la vie que je mène. Je ne la c
hangerais pour rien au
monde, même pour une vie sans fibrose kystique. Je crois en Dieu,
et ma foi m
’
aide à cheminer. De plus,
contrairement à mes amis qui ne sont pas fibro-kystiques, je suis
fière de vieillir. Pour moi, vieillir n
’
est
pas un signe de perte, mais bien un signe de vie. Je considère l
’
approche de mon anniversaire de naissance
comme un cadeau. J
’
ai eu 35 ans en juillet 2008. Un an de plus, et en bonne santé! Une
petite victoire
remportée chaque année sur la fibrose kystique