Entrevue avec Jean-Christophe Réhel, auteur du livre : Ce qu’on respire sur Tatouine
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Au départ, j’avais une idée de chronique littéraire, sur un gars qui chasse les mouches dans un office de tourisme, ça faisait une trentaine de pages, je me suis alors dit que ce serait bien de développer une histoire. J’ai toujours eu envie d’écrire sur la fibrose kystique, car elle fait partie de ma vie, et je ne sais pas si je serais devenu auteur ou poète sans elle, si j’aurais développé la même sensibilité sur certaines choses. Ça alimente beaucoup de mon inspiration, c’est omniprésent dans ma pratique. Je n’ai pas encore fait le tour de ce sujet, j’ai d’autres projets en lien avec la maladie.
J’ai également eu envie de mettre en scène un personnage principal malade, car la plupart du temps, dans les œuvres de fiction, les personnages malades « alimentent » les personnages en santé. J’ai voulu changer cette approche et faire l’inverse.
Quelle est la part autobiographique et fictive ?
Il y a des parts autobiographiques, en ce sens où le personnage est atteint de fibrose kystique comme moi. Mais pour ce qui est de la vie, je n’ai jamais travaillé au Super C, je ne suis jamais allé à New York, je n’ai jamais vécu dans le sous-sol d’un vieux bonhomme édenté : il y a donc beaucoup de fiction. Je n’ai pas non plus les mêmes enjeux de pauvreté que le personnage principal, je ne suis pas riche, mais je ne vis pas en situation de précarité. Il y a une grande part de fiction, j’ai fait beaucoup de recherches, par exemple le Super C, pour savoir en quoi consiste le travail de commis, pour que ça corresponde à la réalité.
Vous êtes poète à l’origine, j’imagine qu’écrire un roman est un exercice bien différent. Comment l’avez-vous vécu ?
J’ai déjà écrit un roman, en 2008, très mauvais. C’était mon premier roman à compte d’auteur, il faisait 150 pages à peu près, que je n’assume plus, mais je faisais mes premières armes avec ce roman-là. Par la suite je suis passé aux poèmes. J’aime comparer le roman et la poésie à un cheval dans un pré, le roman nécessite plus de développement, de narration, c’est un peu comme le cheval avec les poils, les muscles, alors que la poésie, je la vois plus comme la moelle épinière de l’émotion. Avec la poésie, on va au cœur du sentiment. La poésie, dans ma pratique, est plus personnelle, écrite avec le cœur et les tripes, alors que le roman me permet d’inventer des personnages que je n’ai jamais fréquentés.
Comment votre livre a-t-il été reçu par d’autres fibrokystiques ? Avez-vous eu des retours ?
J’ai reçu un beau compliment d’une fille qui ne faisait plus ses traitements, et qui s’est mise à prendre mieux soin d’elle après la lecture : si déjà le livre a pu servir à ça, tant mieux! Sinon, je n’ai pas reçu beaucoup de commentaires d’autres fibrokystiques. L’histoire reste une fiction, et comme c’est de l’art, ça reste subjectif. Pour certains, ça ne doit pas correspondre à leur réalité, et c’est correct : on vit tous la maladie différemment et on a tous un vécu différent. J’essaie de le faire avec respect et vérité, du moins de ma perception.
On retrouve plusieurs scènes qui retranscrivent certaines difficultés de la maladie, comme le passage à la frontière, les difficultés au travail, la pauvreté, la méconnaissance des autres sur la maladie (Akim qui la confond avec la sclérose en plaques) les séjours à l’hôpital, etc. Y en a-t-il une en particulier que vous affectionnez ?
J’aime bien quand il est rendu dans le château, et que c’est Noël, (c’est un peu pathétique, mais je ris de mes propres blagues), quand le personnage vomit dans l’escalier. Ça me fait encore beaucoup rire en y pensant, mais ça fait quelque temps que le livre est sorti, on le découvre encore, mais pour moi c’est une vieille histoire. Je ne garde pas un attachement nostalgique à mes projets, je trippe dans la conception du roman, mais une fois qu’il est publié je regarde autre chose. Je ne me dis jamais avec nostalgie « ah c’était le fun quand j’ai écrit ça ».
Lorsqu’on lit le livre, on a cette impression d’être dans la tête du personnage, on lit ses pensées, on écoute son dialogue interne. Pour la partie du livre se déroulant à l’hôpital, je me trompe peut-être, mais j’ai senti une sorte «d’accélération » de la pensée, et des touches d’humour un peu plus incisives. Est-ce une façon de démontrer le stress que peut représenter un séjour à l’hôpital ?
L’hôpital, j’ai vraiment horreur de ça. Le ressenti et l’anxiété que peut représenter un séjour à l’hôpital sont très autobiographiques. L’élément déclencheur, c’est lors d’une hospitalisation où l’on pensait que j’avais un cancer, c’était très perturbant, et depuis, à chaque fois que je dois me rendre à l’hôpital, je repense à ça. La scène dans le livre correspond beaucoup à mon ressenti vis-à-vis de l’anxiété des hospitalisations, à l’image de mon expérience.
Le personnage consomme très fréquemment de la malbouffe, du fast food, parle d’alcool et de cigarette. Est-ce une sorte de « déni » chez lui vis-à-vis de la maladie ?
En ce qui me concerne, je n’ai jamais fumé, mais j’ai fait ça pour rendre l’histoire plus palpitante, en y mettant du piquant. Un personnage qui respecterait les limites aurait fait un roman moins intéressant. Puis c’est aussi le fait que dans la communauté fibrokystique, il y a toutes sortes de gens, certains n’écoutent pas les conseils des médecins. J’ai peut-être voulu approfondir un peu plus ce côté d’un personnage qui outrepasse le côté correct, parler aux personnes qui en arrachent, parler d’un malade qui en arrache.
On note beaucoup de références tout au long de l’histoire, des références de pop culture comme Star Wars, bien entendu, mais aussi Die Hard, Super Mario bros 3 ou même le film Notre jour viendra. Peut-on considérer que ce sont des marqueurs générationnels qui permettraient aux personnes de votre génération, mais ne vivant pas avec la fibrose kystique, de s’identifier ? Ou alors est-ce des références de fan ?
Je suis un fan de culture populaire, je la consomme beaucoup. Je sais que dans certains milieux critiques de l’intelligentsia, ça impressionne un peu moins, mais j’assume complètement, je n’ai pas fini de parler de culture populaire. Je tripe autant avec le cinéma d’auteur qu’avec le cinéma populaire. Une histoire, elle est bonne ou pas, j’ai voulu assumer complètement ce côté-là.
Vous faites référence à Chopin à un moment, est-ce en rapport avec la possibilité que Chopin ait été atteint de fibrose kystique ?
Oui, c’est un petit clin d’œil
Est-ce que le livre Montagne et désert d’une fibrose kystique que le personnage transporte avec lui, existe? Ou s’inspire-t-il d’un livre existant? J’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé.
Le titre n’existe pas, mais Montagne et désert existe, c’est une édition avec de très belles photos. Le personnage principal, en changeant le titre, s’est approprié ce livre dans sa propre existence, comme Tatouine, mais c’est un livre qui existe.
Malgré le sujet du livre, il y a de nombreuses touches d’humour, l’utilisation d’analogies et de comparaisons étant souvent un des mécanismes, vouliez-vous insérer des doses d’humour afin de dédramatiser le sujet? Ou est-ce tout simplement votre humour dans la vraie vie ?
Je ne pense pas être drôle dans la vraie vie, je ne ferai jamais de stand up, mais je pense être capable de créer des situations drôles dans le récit, j’en fais encore aujourd’hui, j’aime mettre des drôleries, des situations cocasses : c’est volontaire pour garder une histoire supportable à lire, car quand on y pense, la trame de cette histoire c’est très noir, mais avec la touche d’humour tout passe mieux.
Envisagez-vous d’écrire une suite ? Ou peut-être une préquelle ?
Non, je ne suis pas très « suite ». Je m’affaire sur d’autres projets, en lien avec la FK, mais je ne peux pas en parler pour l’instant. Je n’ai pas fait le tour de ce sujet-là, mais j’aimerais l’aborder de manière encore plus drôle.
J’ai vu qu’un film était en préparation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai peu d’informations, et j’attends la première version du scénario. Le cinéma c’est un long processus, avec de grosses équipes, des budgets astronomiques comparés au budget d’un livre. Je contrôle plus ou moins, et je ne connais pas la date de sortie, mais j’ai hâte de voir ça.
Allons-nous vous y voir ?
Je pourrais peut-être jouer Amidala, j’ai demandé j’attends leur réponse.
Auriez-vous aimé aborder autre chose ?
Il y a plein de sujets qui me passionnent, mais pour l’instant je n’ai pas fait le tour de la fibrose kystique. J’ai d’autres sujets sur lesquels parler ensuite. Par exemple, en 2019, j’ai publié un recueil de poésie qui parle d’un jeune garçon qui passe du primaire au secondaire et qui angoisse. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce recueil. J’ai d’autres idées de projets, mais ce sera peut-être en lien avec la schizophrénie, l’Alzheimer, ou autre. Pour moi, la maladie est un moteur d’inspiration assez incroyable, je ne sais pas si un jour j’arriverai à m’en défaire, de parler d’une histoire où personne n’est malade, je ne sais pas si ce serait intéressant, de mon point de vue.
Merci beaucoup d’avoir répondu à nos questions !
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