Témoignage de Claire Boulerice
Montréal (Québec)
Extrait du SVB2009
Ai-je été surprise? Oui et non.
Oui, parce que j’étais toujours là, relativement en forme, à défier sans le savoir les statistiques, à mener une vie active et bien remplie, malgré les fréquentes sautes d’humeur d’une santé trop souvent défaillante à mon goût. Oui, parce qu’en 58 ans de vie, j’en avais consulté, tout de même, des pneumologues compétents et autres spécialistes en qui j’avais confiance. Alors, si j’avais eu la fibrose kystique, l’un d’entre eux, l’une d’entre elles, aurait « allumé », non?
Non, je n’ai pas vraiment été surprise parce que tout s’expliquait enfin :
- J’ai toujours été salée comme un anchois à la moindre exposition au soleil, au moindre effort physique;
- Je faisais des « crises de foie » dès la plus tendre enfance, notre vieux médecin de famille me prescrivant une diète tout aussi sévère qu’incompréhensible : sans gras, sans sel, sans lait, sans sucre et surtout sans goût, à QUATRE ANS!
- Toute mon existence fut ponctuée, sur un mode ascendant, d’une succession de toux, rhumes, grippes, sinusites, bronchites, crises d’asthme, pneumonies à répétition; apparurent ensuite les bronchiectasies avec leur cortège de surinfections pulmonaires : à l’aspergillus, à l’avium intracellulare (une mycobactérie), au staphylocoque doré, au pseudomonas aeruginosa, au mucoïde pseudomonas, un puissant cocktail de bestioles qui me valurent plusieurs séjours mémorables à l’hôpital;
- Un épisode sévère d’hémoptysie, survenu dans la jeune vingtaine, me laissa des tissus cicatriciels dans les poumons qui furent interprétés rétrospectivement – et manifestement à tort – comme une tuberculose;
- Une tante maternelle est décédée à l’âge de 14 ans, supposément de la tuberculose : c’est du moins ce que l’on croyait jusqu’à tout récemment;
- Un inexplicable cancer du côlon a chambardé ma vie il y a huit ans, nécessitant deux interventions chirurgicales et six mois de chimiothérapie. Pourquoi inexplicable? Parce qu’il n’y avait aucun cas de cancer dans ma famille élargie, que je m’alimentais bien depuis des lunes, que je faisais du sport assidûment, que j’avais une bonne hygiène de vie. Comment ça, le cancer du côlon?
Le chat sort du sac
J’ai entrepris en 2005 un programme de réadaptation pulmonaire à l’Institut thoracique de Montréal. Il s’agit d’un programme multidisciplinaire d’éducation et d’entraînement à l’activité physique qui s’adresse d’abord aux personnes atteintes de MPOC. Il est animé par une magnifique équipe de professionnels de la santé, généreuse et dévouée, qui tient ça à bout de bras avec les moyens du bord, une « sacrée belle gang », je vous le dis. J’avais dû insister auprès de mon pneumologue du temps (rattaché à un autre hôpital) pour qu’il m’y dirige : à son avis, je n’avais pas le profil requis.
Ce programme, je l’affirme haut et fort et sans hésitation, m’a ramenée à la vie. Je dois tout particulièrement une fière chandelle à Anne, la physiothérapeute de l’équipe qui supervise la rééducation à l’activité physique : observant mes réactions à l’effort, me questionnant sur mes antécédents familiaux, c’est elle qui m’a proposé de passer le test de la sueur et a fait les démarches en ce sens. Et c’est ainsi que le diagnostic est tombé.
Comment ça, la fibrose kystique?
« Now that I have CF » [i]
Désolée pour le sous-titre anglais, mais c’est le nom d’un ouvrage américain qui m’a alors été remis et dont il n’existe malheureusement aucune version française (traduction libre : Maintenant que j’ai la fibrose kystique). La publication s’adresse spécifiquement aux personnes diagnostiquées à l’âge adulte, atteintes d’une forme dite atypique de la maladie (« non classic », lit-on dans le livre). Les cas connus constituent environ 10 % de la population totale souffrant de fibrose kystique, et présentent certaines caractéristiques particulières (voir le texte ci-contre).
Vous n’en aviez jamais entendu parler? Rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls : les nombreux médecins, pneumologues, ORL et autres spécialistes consultés dans ma vie non plus, semble-t-il. Or, je suis intimement convaincue qu’il y a, au sein de la population, de nombreuses personnes qui sont atteintes de fibrose kystique et qui l’ignorent. Cela soulève, à tout le moins, un certain nombre de questions :
- Dans quelle mesure la forme atypique de la fibrose kystique est-elle connue du corps médical? Ce sujet est-il abordé au cours de la formation universitaire des futurs médecins?
- La littérature scientifique traite-t-elle de cette question? Est-elle abordée lors des colloques ou congrès spécialisés?
- Existe-t-il des données spécifiques sur l’état du dossier au Québec et au Canada? Sur l’incidence des cancers gastro-intestinaux chez les personnes atteintes?
- Comment remédier à un diagnostic tardif de cette maladie? Un programme de dépistage néonatal, comme il en existe ailleurs, ne serait-il pas souhaitable?
- Comment remédier à l’absence de documentation en français sur le sujet, voire à l’inexistence d’information auprès du grand public?
Bien vivre, fibrose kystique ou pas…
J’ai 61 ans. J’ai la fibrose kystique depuis la naissance et je ne le sais que depuis trois ans. Qu’ai-je fait depuis le diagnostic? Rapidement remise de mes émotions, j’ai fait transférer mon dossier médical à l’Institut thoracique. Je me suis documentée sur la maladie. J’ai commencé les traitements médicaux adaptés à ma condition. Je fais de l’exercice régulièrement et quand je néglige d’en faire, croyez-moi, je le paie très cher. Je m’exerce tous les jours à respecter les limites nouvellement identifiées même si « j’haïs » ça, les limites. J’entreprends moins de projets de fou mais je poursuis avec la même passion ceux qui sont à ma portée. Je prends soin, de mon mieux, des gens que j’aime et croyez-moi, ils me le rendent bien, même qu’ils en sont parfois fatigants. Et puis, je me suis jointe à la belle équipe du CPAFK et ça me fait du bien, malgré le « décalage horaire », si vous voyez ce que je veux dire. N’empêche que je serais ravie de voir arriver à nos assemblées des personnes diagnostiquées comme moi à l’âge adulte et donc, atteintes sans doute de la forme atypique de la maladie.
Il m’arrive d’entendre des personnes de mon âge et même beaucoup plus jeunes, en bonne santé, se plaindre du temps qui passe et du vieillissement qui l’accompagne. La peur de vieillir, c’est un concept que je comprends mal. Soit on vieillit, soit on meurt. Puisqu’il n’y a pas de troisième voie, vieillir, c’est une foutue bonne nouvelle, non? FIN 15-12-08
[i] Stern, Robert C., Eileen Widerman, Barbara Palys et John R. Palys, Now that I have CF / Information for men and women diagnosed as adults, Solvay Pharmaceuticals, 2004, 184 p.