Depuis ma jeune vie adulte, je vis à fond la caisse. Je travaille à temps plein, j’ai un autre emploi à temps partiel, je suis parfois en couple ou célibataire, je rencontre, je sors, je joue au frisbee dans une équipe, je fais de la moto, du parachutisme, je m’entraîne et je suis atteinte de fibrose kystique, ce qui implique une panoplie d’autres activités un peu moins ludiques. Bref, il n’y a rien pour m’arrêter et j’aime ma vie comme ça ! Bien que j’aie le privilège d’être entourée d’une famille et d’amis extraordinaires, je me sens seule. Seule à vraiment comprendre cette façon de faire, cette urgence de vivre. Je me sens parfois jugée par les gens qui m’aiment, mais je les comprends; ils veulent que je m’économise pour qu’ils puissent me garder avec eux le plus longtemps possible. C’est vrai que ce style de vie est parfois épuisant, mais il m’alimente, me nourrit, me fait sentir vivante. Ma psychologue vous dirait que je suis « hyperactive et intense une coche au-dessus de tout le monde ». Je suis plutôt d’accord avec elle (ça me fait sourire). Je dis toujours à mon amoureux, qui s’inquiète pour moi, ainsi qu’à mes amis et à ma famille, que je préfère de loin vivre 15 ans de moins et continuer à vivre à fond plutôt que de rester sur mon divan à voir la vie des autres défiler. Je sais qu’ils ne comprennent pas vraiment… ou peut-être suis-je un peu égoïste? Mais aujourd’hui, je me dois de vivre pour moi. Me voilà à 30 ans et tout bascule.
Ma santé dépérit, mes séjours à l’hôpital sont plus fréquents, mes traitements plus lourds, je me sens plus fatiguée, très essoufflée et je ne peux même plus rire sans qu’une quinte de toux s’ensuive. Mais qu’est-ce qui m’arrive? Moi qui me croyais invincible… J’ai perdu ma flamme. Je panique un peu, frappée par la dure réalité de la maladie, que j’avais laissée dormir dans un petit recoin de mon cerveau. Je dois changer mon mode de vie, ralentir, à mon grand désarroi. De nouvelles limites s’imposent à moi et la fille ultra-orgueilleuse en moi se révolte; tout a changé. J’amorce un nouveau chapitre de ma vie : la retraite. À vrai dire, je suis loin d’être à l’aise avec ce terme; disons plutôt « congé prolongé » (ouf! je suis déjà plus à l’aise…). J’étais bien loin de me douter, il y a de ça trois ou quatre ans seulement, que j’entamerais cette étape si tôt dans ma vie. Mais cette réalité s’étant imposée à moi sans crier gare, toute une gamme d’émotions s’est emparée de moi : frustration, stress, peur, sentiment très désagréable d’être inutile et paresseuse, manque de valorisation personnelle et tout le tralala. La perspective d’une greffe pulmonaire se rapproche et m’effraie, mais me donne aussi des ailes; je veux vivre et en profiter le plus possible en fonction de mes capacités, avant d’y arriver. Je me suis tout de même posé la question: « Que fait-on de sa vie quand on a 30 ans et qu’on ne travaille plus ? » J’ai donc orienté mes réflexions sur ce point et me suis dit que je vivrais cette étape au maximum, en la voyant plutôt comme une occasion de vivre différemment.
J’ai donc décidé de mettre mon temps à profit, d’explorer de nouvelles activités, de donner de mon temps de façon bénévole, mais surtout… de voyager. Quel sentiment incroyable de liberté que d’être loin, de se sentir dépaysée, sans les tracas et le poids du quotidien! Il est si bon de s’évader pour quelque temps… Quand je voyage, je retrouve momentanément ma flamme; je me sens vivante, émerveillée, délivrée d’un fardeau, et c’est fantastique! Donc ma nouvelle passion: voyager! J’en ai toujours eu envie, mais ce désir s’est intensifié au cours de la dernière année. Le voyage en Grèce que j’ai fait avec mon amoureux m’a vraiment donné la piqûre. Aujourd’hui, j’ai non seulement envie mais besoin de me dépasser et de voir le monde! C’est ainsi qu’à l’automne dernier, j’ai poursuivi mes aventures au Pérou. J’ai partagé ma vie avec un Québécois d’origine péruvienne pendant presque sept ans et je suis tombée amoureuse de sa famille, sa langue et sa culture. Je devais voir ce pays. Lorsque j’ai entendu dire, l’été dernier, que le Machu Picchu (l’icône du Pérou, un site inca très prisé des touristes et protégé par l’UNESCO) allait être fermé au public pendant quelques années, je ne pouvais plus attendre. J’y rêvais depuis onze ans ! De plus, comme ce pays est en altitude, c’était maintenant ou jamais, pendant que je m’en sentais encore capable.
Je me devais toutefois d’en parler avec les médecins, de passer certains tests et de prendre quelques précautions. Je n’aurais jamais cru avoir à demander l’avis de qui que ce soit pour partir en voyage et, en plus, être obligée de choisir ma destination avec soin. Cette nouvelle limite qui s’ajoutait à la liste m’a fait beaucoup réfléchir et n’a, finalement, que renforcé cette urgence de vivre qui m’habite. Ceci dit, j’ai parlé de mon projet à deux de mes amis et peu de temps après, nous nous envolions tous les trois vers cette contrée. Le Pérou étant un pays très montagneux, nous devions planifier soigneusement nos déplacements, question de nous acclimater à l’altitude au fur et à mesure que nous passions au palier suivant.
En fait, ça a été la plus grande difficulté du voyage. Le mal de l’altitude est très fréquent chez les voyageurs et peut être très difficile à tolérer, même chez les gens en santé. J’ai donc croisé les doigts pour que tout aille pour le mieux. Nous avons tout visité, nous nous sommes déplacés partout au pays. Comme je crois qu’en voyage, l’on se doit de goûter aux mets traditionnels et d’essayer de nouvelles choses, j’ai mangé du cochon d’Inde, servi entier et bien rôti, ainsi que de l’alpaga, cousin du lama. Ce fut une expérience enrichissante, mais qui restera unique. Arrivée dans la ville d’Arequipa, j’ai commencé à me sentir un peu mal. Nous nous trouvions à 2 350 mètres d’altitude. Là-bas, mon cœur battait à plus ou moins 145 battements par minute, au repos. Le moindre effort me demandait énormément d’énergie. Je ne me sentais pas bien du tout et, je peux bien l’avouer aujourd’hui, je paniquais un peu. Même quand j’étais couchée dans mon lit, le soir venu, mon cœur ne s’accordait pas de répit. J’avais malgré tout beaucoup de chance – mes deux amis sont infirmiers; je me sentais, d’une certaine façon, en sécurité. J’ai bu beaucoup d’infusions de feuilles de coca, dont les vertus sont reconnues pour atténuer le mal de l’altitude, mais rien n’y faisait. En plus, vu ma condition pulmonaire, je ne pouvais pas prendre de Diamox, un médicament que la plupart des voyageurs prennent pour contrer ces symptômes désagréables. Dans cette ville, nous avons beaucoup marché, mais l’effort était soutenable. L’avant-dernier arrêt de notre périple était la ville de Puno, située à 3 830 mètres d’altitude. Nous venions d’atteindre le plus haut palier de notre voyage. De cette ville, nous nous sommes rendus au lac Titicaca, le lac le plus haut du monde.
Nous y avons rencontré le peuple uros, qui vit sur des îles flottantes. Ensuite, on nous a emmenés sur l’île Taquile, une petite île tout en hauteur. L’attrait de cette île se trouve à son sommet, duquel on peut apercevoir la Bolivie au loin. L’ascension de l’île se fait à pied et prend environ une heure, sur un sentier plus ou moins entretenu et assez abrupt. J’ai eu beaucoup de difficulté à me rendre au sommet; j’essayais de suivre mes amis, mais je n’y arrivais pas – j’en étais profondément frustrée! J’avais très chaud, mon cœur battait à tout rompre, je toussais beaucoup et j’étais si essoufflée que je ne pouvais faire quelques pas sans devoir prendre une pause, sans compter que le poids du sac à dos se faisait ressentir. Les regards des touristes me gênaient. J’ai fini par atteindre le sommet, quelques minutes seulement après mes amis, mais à bout de force. Ça en a valu la peine: la vue de là-haut était imprenable, les costumes des habitants fantastiques et le repas délectable.
J’étais cependant habitée d’un grand sentiment de peur, puisque le lendemain matin, nous avions prévu faire l’ascension du Wayna Picchu, cette montagne qui mène au Machu Picchu. Il s’agit d’un trekking d’environ sept heures, appelé le « Chemin de l’Inca », sur des chemins escarpés, improvisés le long de la paroi de la montagne, avec nos gros sacs à dos contenant nos bagages et nos vivres pour deux jours, sans compter, pour ma part, mon compresseur et tous mes médicaments. Je ne croyais pas y arriver et, malgré moi, bien que j’aie entrepris ce voyage expressément pour gravir cette montagne, j’étais résolue à renoncer, à rejoindre mes amis plus loin, déjà abattue par l’échec. En revenant du lac Titicaca, nous nous sommes envolés pour Cuzco, la ville la plus merveilleuse du Pérou. Ce soir-là, en consultant mon guide, je me suis rendu compte que le lendemain, nous allions redescendre jusqu’à une hauteur d’environ 2 800 mètres. Une parcelle d’espoir est alors née en moi. Le matin venu, me sentant déjà moins essoufflée, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de foncer: j’allais affronter la montagne…
Je ne peux vous décrire à quel point cette ascension a été difficile. Les chemins étaient si étroits que nous devions marcher à la queue leu leu. Je me fixais de courts objectifs et j’essayais tant bien que mal de rester entre mes amis et le couple qui était avec nous; je ne voulais surtout pas être la dernière! Ces deux personnes qui nous accompagnaient étaient de jeunes médecins et ils devaient s’arrêter aussi souvent que moi. Cela m’a donné du courage et encore plus de volonté à poursuivre cette aventure. Eh bien, croyez-le ou non, je suis parvenue au sommet de la montagne en même temps que tout le monde! Arrivée à destination, j’ai eu le souffle coupé, non pas par l’effort, mais par le panorama : la fameuse et mystérieuse cité perdue, le Machu Picchu, s’élevait devant nous. Le paysage était spectaculaire, grandiose, d’une telle immensité qu’il nous enveloppait.
Enfin, j’y étais… Il y avait, là, sous mes yeux, ce portrait, cette photo si souvent illustrée pour représenter le Pérou, la cité inca au pied de ces montagnes représentant le visage couché d’un vieil homme. Je me sentais enivrée, emplie d’un fabuleux sentiment d’accomplissement, de fierté et de paix. Mes amis étaient impressionnés et fiers de moi; c’est à ce moment-là, sur la montagne, que j’ai compris que tout était possible, que rien ne m’était interdit. Cette expérience a été pour moi l’une des plus belles, mais surtout l’une des plus enrichissantes de ma vie. Elle m’a donné du courage et de la volonté, et a renforcé mon estime personnelle. C’est pour vivre de telles émotions que je voyage, pour m’enrichir et pour ressentir cette fébrilité qui ravive ma flamme.
Bien que tout le monde me dise que j’en ai déjà fait beaucoup au cours de ma jeune vie et que plusieurs ne pourraient pas me suivre, je demeure insatiable, assoiffée de nouvelles aventures. Je vis avec ce fardeau d’être une éternelle insatisfaite, toujours en quête de plaisir, de découverte, prisonnière de cette urgence de vivre.
Prochaine destination: l’Égypte!
Témoignage de Caroline Guillotte