texte composé par Aline Fredette (1976-2021)
(Texte composé environ deux ans après la greffe pulmonaire)
Il y a à un peu plus de deux ans déjà que j’ai «mouru».
Depuis, j’ai reçu une nouvelle vie.
Nouvelle n’est pas un bien petit mot.
Tout est si différent.
Tellement, que mon ancienne vie se mêle que très peu à la nouvelle.
Elle est endormie.
Loin, loin dans l’espace-temps.
Peu de souvenirs de la souffrance,
de la menace qui planait sur moi.
Je ne fais que m’éveiller.
M’éveiller à la vie.
Je pense que je ne réalisais pas tout à fait ce qui m’arrivait.
Eh oui, je suis là bien en vie.
J’ai passé au travers.
J’ai perdu une compagne; la mort.
J’ai eu de la difficulté à vivre sans elle,
même s’il était pour moi inacceptable de vivre avec elle.
Et après ?
Tous me disaient que je devais me réjouir.
Je n’en ai point fait la démonstration.
Laissez-moi le temps de me sentir que je leur disais.
Oui je suis en vie.
Et après ?
Qu’est-ce que j’en fais ?
Tout est si différent.
Tout tourne tellement vite.
Tout est précipité.
Plein d’opportunité se sont ouverte à moi.
J’ai vraiment le choix.
Le choix de vivre.
Vivre de mes choix.
Je n’ai pas vraiment su.
J’ai profité de chaque occasion me disant vivre pleinement.
Et je ne m’y retrouve plus.
Avant je me laissais porter par la vie.
Acceptant les évènements mieux que je pouvais.
M’adaptant à ceux-ci.
Maintenant c’est un peu l’inverse.
La vie s’adapte à moi.
À mes besoins et à mes choix.
Il y a un monde entre ces deux réalités.
L’abandon et l’action cohabitent difficilement chez moi.
Qu’est-ce que vivre?
Tout va à un rythme si affolant.
Je n’ai même plus le temps de respirer.
Je me suis jetée en bas d’une falaise le jour où j’ai dit OUI.
Je ne suis pas encore atterri.
Aucun choc brutal. Tant mieux.
Des jours, je me dis que je vole.
D’autres fois, que je n’ai pas encore touché terre.
La terre.
L’essentiel. La réalité.
Maintenant je ne profite plus vraiment de mes jours.
Je me couche chaque soir en me rappelant ce que je ferai demain.
Auparavant, je me serais endormie en repensant ma journée,
en appréciant chacun des moments passés,
sans me fier qu’il y aurait d’autres lendemains pour me satisfaire.
Disparus tous ces jours à profiter de chaque instant paisiblement.
Disparus pour faire place à la frénésie.
Cette frénésie qui touche la société.
Elle m’a bien malgré moi assimilée.
Je suis étourdie.
Je continue de me lancer «dans le vide».
Mon corps va bien.
Mon être intérieur en prend un coup.
Malgré tout je suis heureuse.
Si mes jours n’étaient pas si remplis, je m’ennuierais.
J’aurais l’impression de perdre mon temps, de ne pas faire rien de concret.
Je roule encore et encore.
Mais en fait, n’est-ce pas qu’une illusion tout ce cirque?
À l’intérieur ça crie de plus en plus fort.
Suis-je utile à quelqu’un présentement ?
Est-ce que mon passage parmi le monde est apprécié ou même remarqué?
Des fois, je me dis que si je n’étais plus ici, cela n’aurait pas changé grand-chose.
Des gens m’auraient pleuré avant aujourd’hui.
Leur deuil serait presque fait et ils auraient plein de beaux souvenirs de moi.
Malheureusement, je ne prends pas plus de temps de passer des
moments de qualité,
de parler des vraies choses avec ceux que j’aime,
au moment présent, sans presser ou brusquer les choses.
N’avons-nous pas tout notre temps ?
Même si je sais que je n’ai pas l’éternité.
C’est pour être avec eux que je me suis battue.
Qu’est-ce que je fais ?
Oui je fais. Je bouge. Je vois.
J’accomplis. Je me réalise.
Un rythme affolant m’a envahi.
Je ne suis plus.
Être.
Prendre le temps d’être, d’exister.
Qui suis-je?
Au travers de la société, quelque part, je me suis perdue.
Où me suis-je oubliée?
Comment me retrouver ?
Je ne sais pas.
Tout est si différent.
Je ne prends même plus le temps de penser.
Cela prendrait des jours, des semaines, des mois.
Qu’est-ce que je veux pour moi ?
Qu’est-ce qui est vraiment important en cette vie?
Autour de moi, tout le monde a l’air de se dire que tout est normal.
Pourtant, avant j’avais la capacité d’apprécier la vie sans grandes possibilités.
Maintenant j’ai toutes les possibilités de vivre, mais pas la capacité de
le faire en paix.
Et, pour moi c’est si différent.
J’ai suivi.
Je me suis adaptée.
Mais où je m’en vais comme cela?
Qui suis-je?
Je ne sais plus.
Pas le temps. Pas le temps que je dis.
J’y repenserai.
Pour le moment je rattrape les années perdues.
Et celles gagnées !
Je m’arrêterai bien un jour.
Un jour je m’arrêterai.
Comme tout le monde. Ce n’est qu’un sursis