Avoir un enfant malade est probablement l’une des plus grandes épreuves que l’on peut avoir à affronter. Il s’agit nécessairement d’un élément qui chamboule toutes les sphères de notre vie: famille, couple, travail, routine, etc. Vivre avec la fibrose kystique au quotidien, c’est apprendre à jongler avec un tas de paramètres supplémentaires. Déjà qu’être parent n’est pas toujours facile, être parent d’une fille atteinte de la fibrose kystique peut vous pousser dans vos derniers retranchements.
Il y a évidemment le choc du diagnostic qui enclenche une période éprouvante, car il y a beaucoup de choses à digérer, à assimiler. Cependant, avec le recul, j’ai l’impression que c’était de la « petite bière » comparé aux autres obstacles que l’on a dû affronter. Bien sûr, chaque personne vit différemment les épreuves, chaque famille ne traverse pas toutes les mêmes difficultés. Dans notre cas, notre fille cumule les défis. En plus de la fibrose kystique, elle a des troubles d’apprentissage, un trouble du déficit de l’attention et d’autres problèmes de santé… Disons qu’à 14 mois, le diagnostic de la FK n’était pour nous que la pointe de l’iceberg.
Bien sûr, c’est difficile de voir son enfant tousser, cracher, râler. Devoir taper son petit corps 20 minutes chaque jour. Se demander s’il faut leur donner des antibiotiques, aller à l’urgence, etc. Malgré tout ça, le plus dur selon moi, ce ne sont pas les symptômes physiques, mais bien les difficultés sur le plan psychologique. En plus des hauts et des bas de cette maladie souvent imprévisible, il faut composer avec les fluctuations du moral. Convaincre son enfant de faire ses traitements alors qu’il a eu une mauvaise journée ou qu’il vient tout juste de faire une crise de larmes. Lorsque notre enfant cumule les difficultés, la situation se complique. Il faut sans cesse s’ajuster, revoir notre routine, nos stratégies, nos priorités.
Pour couronner le tout, la fibrose kystique est une maladie invisible, c’est-à-dire que pour les autres (même parfois l’entourage immédiat), elle est facile à oublier. La plupart des gens comprennent mal ce qu’elle représente vraiment au quotidien et ont tendance à banaliser son impact dans nos vies. Il nous est arrivé de se faire dire que la santé de notre fille avait l’air bonne alors que son VEMS (volume expiratoire maximal en une seconde) était en chute libre depuis plusieurs mois, ou même qu’une hospitalisation était prévue quelques jours plus tard. Dans ces conditions, il est parfois difficile de trouver une oreille attentive pour nous écouter, nous comprendre. On peut facilement se sentir inadéquat, à force de se faire dire qu’on en parle trop, alors que l’on ne fait que relater notre quotidien.
Donc pour moi, gérer la portion « physique » de la maladie, bien que difficile, demeure moins ardu que de jongler avec tous les autres aspects. La maladie de notre enfant, qu’on le veuille ou non, s’immisce dans toutes les sphères de notre vie. Combien d’emplois ai-je quittés parce que la conciliation travail-famille-maladie n’était pas possible, ou tout simplement parce que les patrons manquaient clairement d’empathie. Gérer ses propres émotions, c’est une chose, mais accompagner son enfant dans cette épreuve c’en est une autre! Le métier de parent n’est pas le plus simple au départ, surtout qu’il n’existe pas vraiment de diplôme. Et avec ce genre de composante supplémentaire, ça peut rapidement devenir hors de notre champ de compétence.
La prise en charge médicale de notre fille est somme toute bien assurée par les cliniques. Lorsque l’on parle de symptômes physiques, de VEMS, tout va relativement bien. La maladie est prise en charge, mais pas notre enfant et pas nous. Aussitôt que l’on déborde de l’aspect physique, ça devient hasardeux. Chaque professionnel fait un super travail, il va sans dire, mais ils n’ont pas les ressources nécessaires pour nous aider vraiment. Malgré toute leur bonne volonté, leur aide s’arrête malheureusement là. Personnellement, je l’ai appris à mes dépends. Demander de l’aide et dire comment on se sent réellement peut facilement se retourner contre nous.
Entre 2018 et 2020, nous avons vraiment vécu une période difficile. Notre fille d’environ 10 ans était en plein dans une période de trouble d’opposition. C’était la guerre matin et soir pour les traitements. Malgré ses mauvais résultats à l’école, on esquivait souvent les devoirs. La convaincre de faire ses traitements était déjà un exploit et bien souvent, la soirée y passait. Et la bonne humeur aussi. Et le cercle vicieux s’installe, la main prise dans l’engrenage. Nous avons consulté un paquet d’intervenants depuis les 5 ans de notre fille : psychologues, neuropsychologue, psychoéducateur, ergothérapeute, travailleurs sociaux, etc. Tous semblaient avoir la même vision : tout va bien, ça va passer. Fin 2019, lors d’un rendez-vous en clinique, nous avons réitéré notre demande d’aide, expliqué notre épuisement, notre incapacité à la convaincre de faire ses traitements convenablement. On nous a proposé un calendrier de motivation. J’ai tenté d’énumérer tous les types de calendriers que nous avions déjà créés. Nous souhaitions de l’aide concrète, comme un physiothérapeute qui passe à la maison quelquefois par semaine, pour quelques semaines, pour souffler un peu. On nous a à nouveau vendu l’idée du calendrier de motivation ! C’était la goutte de trop. J’ai dit ne plus vouloir entendre parler de leur « fichu » calendrier. On nous a pris à part pour nous dire que le VEMS de notre fille ne cessait de chuter et que si nous ne renversions pas la tendance rapidement, ils seraient dans l’obligation de faire un signalement à la DPJ. Selon eux, nous étions responsables de la mauvaise santé de notre fille. J’ai figé, incapable de me défendre. Les mots ne sortaient pas. Incapable de croire à ce discours. En nous disant ces mots, le médecin pleurait et j’ai alors compris qu’ils étaient dans l’obligation de nous avertir. Qu’au fond, ils n’ont pas de ressource à nous offrir.
Début 2020, notre fille s’est fait opérer des sinus et l’hypothèse selon laquelle le Pseudomonas s’était logé dans ses sinus et non pas dans ses poumons s’est alors confirmée. Deux mois plus tard, elle a enfin cessé les antibiotiques en nébulisation qu’elle devait prendre deux fois par jour depuis 2016. Au moins quarante minutes gagnées chaque jour pour vivre sa vie d’adolescente. Au même moment, nous avons découvert qu’elle faisait de l’apnée du sommeil et, à l’automne 2020, elle s’est fait enlever les amygdales. Ces deux opérations ont changé notre vie. Elle dort mieux et est donc beaucoup moins irritable, plus concentrée à l’école. Elle a repris confiance en ses moyens. Elle a plus de temps pour elle, et est donc plus encline à faire les traitements qu’il lui reste. En fin de compte, les symptômes d’alors qui étaient surtout psychologiques avaient tout à voir avec sa maladie, son état physique.
La maladie n’est pas une addition de symptômes, certainement pas une maladie chronique dégénérative comme la fibrose kystique. Apprendre à vivre avec la FK, à « l’accepter », pour un enfant en pleine croissance qui doit déjà gérer un paquet d’émotions et d’hormones, c’est pratiquement impossible à faire sans anicroches. On entend souvent qu’apprendre un diagnostic, c’est un peu comme vivre un deuil, avec les cinq étapes « réglementaires ». Vous les connaissez sûrement : déni, colère, négociation, dépression et acceptation. Mais il ne s’agit que d’une théorie car, en pratique, je doute que ce soit comme cela que ça se passe. Un des pneumologues de ma fille m’a d’ailleurs déjà servi cette formule toute faite : selon lui, nous étions coincés dans la phase de la colère, et pour cette raison, la santé de notre fille ne s’améliorait pas. Si l’on suit cette logique, en tant que parent, nous ne sommes plus en droit d’être contrariés à l’hôpital, sans quoi on se fait cataloguer comme un parent qui n’accepte pas la maladie de son enfant. Et vous savez comme moi qu’avec notre système de santé, contrarié est souvent un euphémisme!
Par expérience, je crois que, bien que ces fameuses cinq étapes sont plutôt vraies, c’est l’idée des phases qui n’a pas de sens. Comme s’il fallait que ce soit une suite logique qui mène nécessairement à l’étape ultime : l’ « acceptation » ! Selon moi, il s’agit d’émotions que l’on vit dans le désordre, sans logique et surtout sans finalité. C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’une maladie chronique telle que la fk, qui vient avec son lot de diagnostics supplémentaires. Il ne s’agit pas d’une maladie linéaire, mais plutôt de montagnes russes physiques et émotionnelles. Aussi, toute la famille vit ces émotions à un rythme différent, où s’ajoutent d’autres émotions, comme l’incompréhension et la déception. Parfois, qu’on le veuille ou non, ça peut nous faire reculer d’une phase ou deux. Voir son enfant en colère contre sa maladie, l’entendre dire : « c’est injuste, pourquoi ça m’arrive à moi et pas à un autre », même si l’on croyait déjà avoir « accepté » la fk, il n’en faut pas plus pour nous faire replonger dans cette colère nous aussi.
J’écris toujours « accepter » entre guillemets, car bien que l’on entend souvent cette expression, j’avoue ne pas l’aimer, ne pas y croire. Je ne suis pas une experte, je n’ai pas de diplôme en psychologie. Par contre, selon mon expérience, viser l’acceptation comme l’objectif ultime est plus dommageable qu’autre chose. Pour moi, l’« acceptation » c’est plutôt de comprendre que nous sommes passagers dans cette montagne russe, pour le meilleur et pour le pire. Reconnaître que nous avons déjà passé plusieurs « bas » et espérer rester sur la pente ascendante encore un bon bout de temps tout en sachant que le creux pourrait revenir plus vite qu’on le pense. Espérer qu’avec le temps et beaucoup d’efforts, nous allons remonter la prochaine côte plus facilement. L’important est de se permettre de vivre toutes ces émotions, de les accueillir et d’essayer de les comprendre. Il sera ainsi plus facile de les discerner et de les traverser lors de la prochaine descente. Et surtout, ne pas oublier que malgré les mauvaises expériences, exposer notre vulnérabilité dans le but de trouver de l’aide est parfois nécessaire. C’est là une réelle preuve de courage.