Les religions et le don d’organes
Le concept du don d’organes est très ancien. Il y a plusieurs millénaires, des greffes étaient déjà imaginées dans les mythologies égyptiennes et gréco- romaines. C’est au 18e siècle que l’on effectuera les premières expérimentations de greffes sur des animaux, qui aboutiront en 1902 à la première greffe réussie d’un rein sur un chien. En 1906, les premières greffes d’organes sur l’homme ont lieu mais elles se soldent toutes par des échecs entraînant la mort des malheureux cobayes humains 1. Ces échecs ont toutefois permis de découvrir le principal obstacle aux greffes, le risque de rejet, et d’y travailler afin de le combattre.
Cependant, un autre obstacle est lui tout aussi important de nos jours. Il s’agit du refus de certaines personnes ou de leurs proches de donner leurs organes au moment de leur décès. Plusieurs motivations peuvent guider ce choix qu’elles soient spirituelles ou basées sur des idées préconçues. Plusieurs invoquent également des raisons religieuses. Les écrits religieux des grandes religions n’invoquent pas le don d’organes car il n’existait pas au moment de leur création. Ainsi, c’est en regardant les écrits religieux que plusieurs dirigeants et représentants religieux se sont penché sur cette question : que pensent les religions au sujet du don d’organes après notre mort ?
Christianisme
Pour l’amour de son prochain
La Chrétienté se divise en plusieurs branches, dont les principales sont les catholiques les protestants et les orthodoxes. Dans les trois cas, il ne fait aucun doute que le don d’organes est important et supporté puisqu’il s’agit d’un acte de charité.
Pour les catholiques, l’appui au don d’organes est sans équivoque puisque plusieurs papes se sont prononcés en sa faveur. C’est en 1956 que l’Église catholique se prononce pour la première fois sur le sujet, à l’époque en faveur du prélèvement et de la greffe de cornée2. Pie XII écrira un texte fondamental sur le don d’organes en y indiquant trois principes fondamentaux : la légitimité de la transplantation, le respect du corps (qui ne peut être considéré comme un simple objet) et l’importance du consentement préalable.
Les catholiques considèrent que le corps redeviendra poussière avant la résurrection, tel qu’indiqué dans la Bible. « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu’à ce que tu retournes dans la terre d’où tu as été pris; car tu es poussière et tu retourneras dans la poussière» (Genèse 3:19). Ainsi, pour eux, le don d’organes n’est pas en contradiction avec l’importance de conserver le corps intact après la mort, car le corps ressuscitera dans son intégralité.
En 1992, Jean Paul II appelait ses fidèles à « se réjouir que la médecine, dans le service qu’elle rend à la vie, ait trouvé dans les transplantations d’organes une nouvelle manière de servir la famille humaine ». En 2000, lors d’un congrès international sur le sujet, il déclarait qu’il faut «insuffler dans le cœur des personnes, et en particulier dans le cœur des jeunes, une reconnaissance authentique et profonde du besoin d’amour fraternel, un amour qui puisse trouver une expression dans la décision de devenir un donneur d’organes. 3» Son successeur, Benoit XVI, ne faisait pas mystère de son inscription sur le registre des donneurs potentiels et ne sort jamais sans avoir sur lui sa carte de donneur. Cependant, après son élection, il dut renoncer à être donneur, son corps devenant la propriété de l’Église tout en continuant à qualifier le don d’organes de « forme particulière du témoignage de la charité. 4 » Le pape François 1er considère même important de le développer, afin de contrecarrer le trafic d’organes qui peut se produire dans plusieurs pays à cause des listes d’attente de gens en attente de greffe qui s’allongent sans cesse. Il rajoutera en 2014 que l’usage de ce don pour des raisons mercantiles est moralement inacceptable 5.
Les protestants ont une position semblable aux catholiques mais encore plus favorable puisque l’attachement au corps est encore moins important. Le théologien protestant Jean-François Collange soutient d’ailleurs que la meilleure façon de transformer l’absurde et le tragique d’une disparition soudaine est de permettre à d’autres de pouvoir encore continuer à vivre. » Il appuie ses propos sur un passage de la Bible, qui évoque qu’iI n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jean 15, 13).
En ce qui concerne les orthodoxes, ils acceptent le don d’organes et la transplantation. Le don peut être fait tant pour sauver une vie humaine que pour les avancées médicales.
Judaïsme
La vie avant tout
En principe, les quatre branches du Judaïsme appuient le don d’organes. Le Judaïsme confère à la vie un caractère sacré. Pour cette raison, donner un organe pour sauver une vie est l’un des actes les plus vertueux qu’un humain puisse accomplir 6.
Pourtant, une réserve est de mise. En effet, le judaïsme considère qu’une personne est décédée uniquement lorsqu’il y a arrêt cardiaque, d’où cette difficulté à accepter le critère de mort encéphalique lorsque que le coeur bat toujours7. Cependant, puisqu’il est souvent question de sauver une vie, ce critère traditionnel peut être délaissé en se basant sur un passage du Talmud. Selon la tradition, Moïse aurait déclaré que « Celui qui sauve une vie sauve l’Univers tout entier. » Ainsi, bien que la Torah ordonne également d’être enterrés entiers, ce commandement est écarté devant celui, plus important, de sauver des vies.
Mentionnons cependant que, depuis 2008, l’État d’Israël reconnaît la mort par arrêt de l’activité cérébrale. Le décès n’est plus exclusivement constaté lorsque le cœur cesse de battre, mais aussi lors de l’arrêt des activités cérébrales 8.
Il est cependant important de savoir que le Judaïsme n’autorise le don que s’il est absolument certain que les organes seront utilisés pour sauver une vie et non pour la recherche, par exemple. La loi juive interdit la profanation d’un cadavre. Le corps d’une personne décédée, étant donné qu’il a accueilli une âme sainte, doit être traité avec un respect absolu 9.
Le don fait de son vivant, comme celui d’un rein, devrait même être considéré comme un devoir religieux selon différentes interprétations, en vertu des versets bibliques « Tu aimeras ton prochain comme toimême ! » (Lévitique 19, 18) et « Ne reste pas indifférent devant le sang (le risque de mort) de ton prochain ! » (Lévitique, 19, 16).
Islam
Quiconque sauve une vie a sauvé toute l’humanité (Coran 5/32).
Comme pour les adeptes d’autres religions, les musulmans sont partagés entre deux aspects : le respect du corps car il est considéré comme le prolongement de l’âme et la valorisation du don qui permet de sauver une vie. Dans la mesure où l’on garde à l’esprit le respect de l’individu, l’Islam favorise le don d’organe. Pour ce faire, il existe des règles à respecter qui permettent de protéger le donneur vivant ou décédé. Le don d’organe pendant la vie est autorisé à la condition que cela ne nuise pas au donneur 10. Il est intéressant de constater que si, de son vivant, une personne a exprimé par écrit sa volonté de faire don d’un de ses organes après sa mort, par exemple dans son testament, cette volonté doit être respectée. Les héritiers n’ont pas le droit d’apporter des modifications à ce testament car la volonté de la personne décédée prime sur celle des proches. De plus, si le consentement présumé est inscrit dans la loi du pays où réside le musulman, alors, de son vivant, le musulman doit faire inscrire dans un registre son opposition à un prélèvement d’organes sur son corps après son décès sinon il donne son accord implicite 11.
En cas d’absence de cet accord, il faudra l’autorisation des parents ou d’un membre proche de la famille du donneur potentiel. Soulignons qu’il n’y a pas de différence dans le don ou la réception d’organes entre un musulman et un non musulman car l’homme doit être respecté pour son humanité et non selon sa religion.
Les permissions données aux prélèvements et à la greffe d’organes sont valables dans le seul cas où elles sont pratiquées dans un but non lucratif. Les organes doivent être mis gratuitement à la disposition des établissements médicaux car il est strictement interdit de faire le commerce d’organes d’origine humaine 12 dans cette pratique religieuse.
Témoins de Jéhovah
Oui, mais…
Dans leur souci de pouvoir apporter une réponse à toute question que serait susceptible de se poser leurs fidèles, les dirigeants des Témoins de Jéhovah ont très tôt légiféré en matière de transplantations d’organes 13. La transplantation n’est acceptée que depuis le 15 juin 1980. En effet, contrairement à leur position véhiculée dans les années 1970, ils ne pensent plus que la Bible traite directement des transplantations d’organes; aussi appartient-il à chacun de décider s’il peut subir une transplantation14. Auparavant, elle était associée au cannibalisme. Cependant, les témoins de Jéhovah exigent que tout le sang ait été retiré de l’organe avant sa transplantation.
Selon la doctrine des Témoins de Jéhovah, Dieu aurait demandé à Noé de ne pas manger le sang des animaux. Dans une entrevue donnée en 2016, Alain Promkin, un spécialiste québécois des religions, indiquait que «certains livres, comme celui des Lévitiques, disent: tu ne mangeras pas de sang. Chez les témoins de Jéhovah, on interprète qu’on ne peut pas faire de transfusion sanguine. Ils croient que l’âme, ou la vie, de Dieu est dans le sang 15.»
Depuis quelques années, les progrès de la médecine permettent parfois de pouvoir greffer des organes sans faire appel aux transfusions sanguines bien que cela soit plutôt rare et difficile. Quand cela est possible, les Témoins de Jéhovah acceptent de recevoir une greffe.
Bouddhisme
La compréhension bouddhiste de la bonne santé met l’accent sur l’interaction équilibrée entre l’esprit et le corps ainsi qu’entre la vie humaine et son environnement. Les maladies ont tendance à se déclarer lorsque ce délicat équilibre est rompu et la théorie bouddhiste a pour but pratique de restaurer et de renforcer cet équilibre. Dans le traitement de la maladie, cependant, le bouddhisme, en aucune manière, ne rejette la médecine moderne et la gamme puissante d’outils diagnostiques et thérapeutiques à sa disposition 16. Le bouddhisme et l’Hindouisme n’ont pas de règle spécifique interdisant le don d’organes.
Pour les pratiquants d’une forme plus archaïque de l’hindouisme, il peut cependant y avoir quelques réticences importantes. En effet, le but ultime des hindous est d’atteindre le Moksha, qui met fin au cycle des naissances et des réincarnations. Pour eux, l’idée de réincarnation est terrifiante. Réaliser un bon karma permettra à une âme de sortir de ce cycle infernal. Par exemple, si un homme vit misérablement, c’est qu’il n’a pas été bon dans ses vies antérieures et qu’il doit payer dans cette vie les conséquences de ses fautes. L’aider à s’en sortir pourrait lui faire du tort puisque c’est l’empêcher d’expier ses fautes et lui enlever
la possibilité d’un meilleur karma dans une vie ultérieure. Le même principe s’applique alors pour le don d’organes17.
Cependant, de nos jours, le choix est laissé à la conscience individuelle des gens. Comme pour la
plupart des courants religieux, le consentement du donneur est requis en cas de transplantation. Le don d’organes est considéré de façon positive en tant qu’acte de compassion18.
Tomy-richard Leboeuf mcGregor
Directeur général Vivre avec la fibrose kystique
Montréal (Québec) Canada
Références bibliographiques :
1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_d%27organes
2. https://sante-guerir.notrefamille.com/sante-a-z/don-d-organes-et-transplantation-le-point-de-vue-des-religions-don-d-organes-et-transplantationle-point-de-vue-des-religions-o304682.html
3. http://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/science-et-ethique/ prelevements-et-greffes-dorganes/372342-don-dorganes-don-de-vie/
4. http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/que-dit-l-eglise-catholique-sur-ledon-d-organes-17-04-2015-62321_16.php
5. http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/09/20/le-pape-encourage-le-dondorganes-selon-le-maire-de-rome_n_5854168.html ?utm_hp_ref=qc-papefrancois-1er
6. http://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/865087/jewish/Don-dorganes. htm
7. https://sante-guerir.notrefamille.com/sante-a-z/don-d-organes-et-transplantation-le-point-de-vue-des-religions-don-d-organes-et-transplantationle-point-de-vue-des-religions-o304682.html
8. http://www.ecoute-juive.com/developpement-personnel/aimer-son- prochain-et-don-dorgane.php
9. http://www.aish.fr/a/science/Les_dons_dorganes_et_la_Loi_Juive.html
10. http://www.alnas.fr/actualite/religion/article/islam-le-don-d-organes-est-il
11. https://oumma.com/le-don-dorganes-est-autorise-et-encourage-en-islam/
12. https://oumma.com/le-don-dorganes-est-autorise-et-encourage-en-islam/
13. http://www.tj-encyclopedie.org/Transplantations_d%27organes
14. https://www.jw.org/fr/publications/livres/le-sang/Le-d%C3%A9fim%C3%A9dical-et-moral-des-T%C3%A9moins-de-J%C3%A9hovah/
15. http://www.tvanouvelles.ca/2016/10/15/pourquoi-les-temoins-de-jehovahrefusent-ils-les-transfusions
16. http://www.espace-ethique-poitoucharentes.org/obj/original_175005bouddhisme-et-sante.pdf
17. https://www.couleur-indienne.net/L-hindouisme-Les-4-buts-a-atteindre-etle-karma_a536.html
18. http://www.hepatotransplant.be/religions.htmlAir Max 2017