Rédigé par Marc-Antoine Pelège
Édité par Roger Clavet
Magazine Santé Vous Bien – Automne 2024
Quand FK signifie de Franchir le Kilimandjaro
Jour 1 – lundi 2 septembre
Nous entamons la première journée de l’ascension du Kilimandjaro avec un parcours de 7 km, partant à 15h par la voie d’approche Rongai. À une altitude initiale de 1 500 mètres, cette étape nous a menés jusqu’à 2 750 mètres. Parvenus à cette altitude, notre équipe de 11 personnes nous attendait, les tentes déjà montées et un repas chaud prêt à être servi.
Chaque porteur, avec un rôle bien défini, rend l’ascension plus accessible en transportant nos bagages, la nourriture, les tentes, et le matériel pour chauffer les repas. Deux guides encadrent également notre groupe et nous accompagneront pour le « Summit push » final de 6 km, prévu pour la nuit du troisième au quatrième jour.
L’air se rarifie, l’euphorie monte
Jour 2 – mardi 3 septembre
Le deuxième jour, nous passons de 2 750 à 3 780 mètres. La respiration devient un peu plus difficile, et on ressent vraiment le manque d’air. Il faut savoir qu’à cette altitude, l’oxygène disponible n’est plus qu’à 65 %. Chaque pas est un effort, et je commence à ressentir une légère euphorie, une sensation plutôt amusante, comme un petit « high » dû à l’altitude. Avec ma conjointe, nous éclatons de rire à la moindre blague, aussi peu drôle soit-elle. Bref, pas besoin de drogue, l’altitude suffit ! Ce parcours de 11 km, nous l’avons accompli en cinq heures.
Jour 3 et nuit de l’ascension – mercredi 4 septembre et jeudi 5 septembre
La troisième journée s’annonce de plus en plus exigeante. Avec un dénivelé positif de 900 mètres sur sept kilomètres, nous passons de 3 780 à 4 720 mètres d’altitude, soit à peine 87 mètres de moins que le Mont Blanc, plus haut sommet d’Europe qui culmine à 4 807 mètres.
À notre arrivée au camp, la nourriture et la chaleur d’une bouillotte nous attendaient. Il était 14h30. Après une heure de repos, les guides nous ont briefés sur le déroulement de l’ascension finale, le « Summit push ». Nous nous réveillerons à 23h, prêts pour un départ à minuit, après un petit café, quelques biscuits et du pop-corn. Nous avons pris notre souper vers 17h30, et nous nous sommes couchés à 18h30, la nuit déjà tombée. Épuisés, mais avec un léger stress pour la nuit à venir. Il faut savoir que les nuits sont froides, environ 4 degrés. Nous étions bien couverts : sac de couchage, veste en mérinos, pantalons en duvet et tuque pour ne pas avoir froid.
23h sonne. Il est temps de se lever. Café, biscuits, maïs soufflé. Puis, il faut s’habiller… Mais comment ? Il fait froid, mais nous allons bouger pour grimper cette « petite butte » de plus de 5 800 mètres ! Je décide de revêtir un pantalon de coton et d’enfiler quatre couches sur le haut du corps : de la laine mérinos, du duvet et du Gore-Tex pour me protéger du vent et de la pluie potentielle. Je me dis qu’avec le mouvement, je ne devrais pas avoir froid… Erreur !
Le froid gagne du terrain
Dès les premières minutes, je réalise que le rythme est extrêmement lent : un ou deux kilomètres par heure, pas après pas. Après une heure de marche dans l’obscurité, lampe frontale allumée, et en affrontant un fort dénivelé, je m’approche du guide pour lui demander d’accélérer un peu. J’ai froid, et ma partenaire aussi, malgré nos nombreuses couches de vêtements. Le guide accélère brièvement, puis ralentit de nouveau. Mon corps tremble, et je tente de me réchauffer en respirant profondément, en bougeant les bras et en faisant de petits pas rapides. Mais rien n’y fait.
Je me souviens alors que j’ai dans mon sac un autre pantalon et une paire de chaussettes supplémentaires. Nous nous arrêtons pour nous habiller plus chaudement. Deux porteurs et nos guides nous aident, et je remarque qu’eux n’ont même pas de gants, pourtant ils semblent parfaitement à l’aise dans ce froid pénétrant… Les vêtements supplémentaires nous rendent plus confortables, mais la respiration devient de plus en plus difficile. À 5 000 m, je ressens une pression intense dans ma poitrine, accompagnée d’hyperventilation. La crise d’angoisse pointe. Je me demande, ne serait-ce qu’une fraction de seconde : « Mais qu’est-ce que je fais là ? ».
Il pleut des larmes
Heureusement, je me rappelle mes séances de méditation et de pleine conscience, où l’on apprend que la respiration lente permet de calmer le système nerveux. « Je ne suis pas l’angoisse », je me répète. Je me concentre sur cinq respirations lentes, et là, des larmes commencent à couler sur mes joues. Je pleure tout en marchant, sans vraiment comprendre ce qu’il se passe en moi. Peu à peu, je me sens mieux, la pression dans mon corps diminue.
L’ascension continue. Le ciel est encore parsemé d’étoiles. Quand je lève la tête, ma lampe frontale n’éclaire encore aucun sommet visible. Nous avançons à un rythme de tortue, en silence, dans l’obscurité, avec des pauses de cinq minutes pour boire et manger un peu. Puis, je remarque une légère lueur à ma droite, une teinte changeante dans la pénombre. Au même moment, le guide annonce : « Encore quelques mètres ». Et effectivement, 50 mètres plus loin, nous atteignons le premier sommet – Gilmans Point – à 5 685 mètres.
À nouveau, des larmes coulent. Bientôt, nous y serons. Chaque pas demande une respiration. La montée est lente, presque douloureuse. C’est une sensation très particulière : on veut avancer, mais le corps dit « non ». Enfin, nous atteignons le premier des trois sommets. Oui, car lorsqu’on pense que l’effort est terminé, il reste encore deux kilomètres et 200 mètres de dénivelé, qui nous prendront une heure et demie de plus pour se rendre au Uhuru Peak.
Au sommet, une bouffée d’air frais
Je pensais avoir déjà vécu le plus dur, mais les derniers 500 mètres ont été les plus éprouvants. Je titubais comme si j’avais bu une bouteille de vodka – pure fabulation -, traînant les pieds, m’arrêtant tous les 50 mètres pour reprendre mon souffle. Enfin, nous y arrivons, au sommet de l’Afrique : le Kilimandjaro, à 5 895 mètres d’altitude.
Étrangement, une fois au sommet, le corps s’acclimate assez vite, et il est possible de bouger un peu plus vite (mais pas trop). Un sourire se dessine, accompagné de nouvelles larmes de joie. Nous profitons de la vue au-dessus des nuages, une rareté. Ce n’est pas tous les jours que l’on observe la vie depuis ce point de vue !
Je hisse avec fierté le drapeau de Vivre avec la fibrose kystique et prends une grande bouffée d’air, pour tous ceux et celles qui ne pourront pas venir ici. Et pour les autres, qui ont l’envie et le désir de s’y aventurer, je laisse quelques molécules d’oxygène ici, au sommet.
Athlète, danseur, entrepreneur et ostéopathe de nationalité française et canadienne, Marc-Antoine Pelège vit avec la fibrose kystique. À 36 ans, début septembre 2024, il réussit un exploit peu commun : franchir le Kilimandjaro, plus haut sommet d’Afrique à 5 895 mètres d’altitude, pour y hisser fièrement le drapeau de Vivre avec la fibrose kystique.