L’urgence de vivre semble être l’une des caractéristiques les plus communes chez les fibro-kystiques que je connais. Comme eux, je la ressentais pleinement avant ma greffe et je m’imaginais tout accomplir lorsque j’aurais enfin mes poumons. Je ne voulais rien de moins qu’être superwoman et il m’arrive encore d’y penser en soupirant. En effet, ce sentiment est encore présent dans ma vie, bien que le quotidien et la routine l’aient un peu remplacé. Je m’imaginais courir partout et tout faire en même temps après ma greffe, mais j’ai obtenu l’effet contraire. Heureusement, je me permets enfin de me détendre quand j’en ai envie. Je me suis donné le droit de croire en la vie et je ne perçois plus la mort de la même façon. Bien que l’idée m’effleure, il y a de longues périodes où je n’y pense plus du tout et ce changement me fait du bien…
Le rêve
Il y a trois ans, je recevais mes poumons après une longue attente de 17 mois. J’ai été chanceuse, car le délai est de plus en plus long pour recevoir des organes. Elle me semble loin, cette vie suspendue au téléavertisseur de greffe, espérant qu’il sonne entre deux quintes de toux épouvantables. Durant les derniers mois, je ne pouvais plus me permettre de sorties. Toutefois, tant que je l’ai pu, je me suis évadée entre deux séjours à l’hôpital, partant en road trip avec ma bonne amie et plusieurs bonbonnes d’oxygène.
Innocemment, je m’imaginais que le quotidien de ma nouvelle vie ressemblerait à ces moments. J’avais oublié que, dans la vie normale, le temps des gens est compté, divisé entre le travail et les obligations, et que rares sont ceux qui peuvent se permettre de telles excursions improvisées. Bien sûr, on me l’aurait dit, j’aurais répondu que j’étais différente et que j’allais mieux profiter de la vie qu’eux. J’aurais eu beau riposter, je savais au fond de moi que je désirais faire comme eux : vivre le plus normalement possible et travailler, puisque le travail fait partie de la vie normale.
La métamorphose
Cette fureur de vivre s’est toutefois estompée après la greffe. Tout d’abord, je me suis vite rendu compte que je n’allais pas courir le marathon une fois mon congé obtenu. J’exagère, mais je pensais réellement que je pourrais réaliser mes projets aussitôt sortie de l’hôpital. Même en sachant que j’allais subir une grande opération, je ne comprenais pas la véritable signification de la convalescence qui s’ensuivrait. On m’avait toujours vanté les bienfaits de la greffe, me parlant du « miracle » qui allait arriver; je m’accrochais à ces paroles pour trouver le courage de continuer. Cette réalité qui allait devenir la mienne avait en quelque sorte pris la forme d’un conte de fées dans mon esprit. Plusieurs affirment en riant qu’ils ont changé depuis leurs nouveaux poumons. Certains disent que leurs donneurs devaient manger très salé, car leur goût a changé. D’autres taquinent les hommes qui ont reçu des poumons de femmes, leur demandant s’ils ont maintenant des accidents ou de la difficulté avec leur stationnement parallèle. De mon côté, ma donneuse devait être une femme qui savait relaxer, car je me suis métamorphosée.
Plus rien ne pressait. J’avais le sentiment d’avoir la vie devant moi. J’avais le désir de profiter de tous les moments de la vie, et surtout de tous les petits bonheurs qui s’offraient à moi. Le chant des oiseaux m’enchantait plus qu’avant, et j’aimais profiter du moment présent sans chercher à remplir à tout prix ma journée d’activités en tous genres. J’avais retrouvé mes yeux d’enfant, et je redécouvrais le plaisir d’acquérir de l’autonomie petit à petit. Au fond, le miracle de cette opération était peut-être cette seconde naissance. Malgré tous ces bonheurs et une meilleure santé, j’ai été confrontée à diverses petites embûches dans mon désir de devenir Superwoman.
La sieste
Lorsque j’étais en attente de greffe, ma vie sociale était facilitée (voire existante) grâce à Internet. Le blogue sur lequel j’écrivais m’avait permis d’entrer en contact avec de nouvelles personnes et discuter sur MSN était moins essoufflant que par téléphone. Une de mes amies avec qui je conversais souvent était une fibro-kystique nouvellement greffée et j’avais toujours hâte qu’elle me dise ce qu’elle avait accompli. J’étais toujours étonnée lorsqu’elle partait faire une sieste. Je ne comprenais pas qu’elle puisse être fatiguée alors qu’elle était greffée. Elle était censée être en forme!
Lorsque j’ai été greffée à mon tour, j’ai compris plusieurs choses. D’abord, j’ai compris qu’il était normal en convalescence de devoir se reposer. Ensuite, j’ai compris que l’énergie revenait tranquillement et qu’il fallait faire beaucoup d’efforts et d’exercices pour mieux la retrouver. Quand j’ai dû l’expliquer à mon tour, car les gens étaient surpris de ma fatigue après la greffe, j’ai réellement compris ce que cette amie avait vécu. Il est rare maintenant que je fasse une sieste, mais je n’en suis pas moins souvent fatiguée.
La fatigue
Je me souviens que, lorsque j’avais 50 % de VEMS, j’avais l’impression que je pouvais déplacer des montagnes. Je me sentais presque athlétique. Maintenant, je frôle le 100 % et je suis souvent épuisée. C’est plutôt difficile à accepter, même si j’ai compris que le VEMS et l’endurance physique sont deux choses bien distinctes. À la blague, on m’a dit que c’était parce que je prenais de l’âge. J’étais sceptique, car, en observant les gens au début de la trentaine, je constatais qu’ils semblaient travailler à temps plein, avoir une vie de famille bien remplie et arrivaient même à trouver du temps à consacrer à des activités et des loisirs. Comment se faisait-il que je n’y arrivais pas? Superwoman était loin devant moi, me narguant. Mon orgueil en a alors pris un coup.
Toutefois, bien qu’ils aient un rythme de vie plus effréné que le mien, j’observe mes parents, mon frère et mon amoureux, et ils semblent eux aussi connaître la fatigue. Il est fréquent qu’ils doivent se forcer pour continuer, seulement parce qu’ils doivent aller travailler ou accomplir d’autres tâches quotidiennes. Leurs nuits sont bien méritées, mais il arrive aussi qu’ils doivent se lever malgré le manque de sommeil. Pensais-je échapper à cette réalité parce que j’avais été greffée? Il semble que ce ne sera pas le cas. Bien sûr, la différence entre ma fatigue et la leur réside dans le temps de récupération dont j’ai besoin. Il est beaucoup plus long et je dois parfois organiser mes journées en fonction de ma fatigue. De plus, étant fatiguée, je cours encore plus de risques qu’eux de me faire happer par le premier virus venu, ayant un système immunitaire plus fragile que le leur.
Malgré la fatigue qui disparaît rarement, rien n’est semblable à l’épuisement que je ressentais avant ma greffe, alors que seulement respirer était un effort. Je m’estime chanceuse de pouvoir accomplir des activités quotidiennes sans ressentir aucune fatigue. L’humain est ainsi fait – plus on en a, plus on en veut! Plus on en fait, plus on souhaite en faire! Du moins, je suis ainsi faite et je demeure toujours légèrement insatisfaite.
Rebâtir sa vie
C’est pour cette raison qu’un bon matin, le beau chant des oiseaux qui faisait le bonheur de mes journées au début de ma greffe ne me satisfaisait plus. J’étais impatiente de commencer « pour de vrai » ma nouvelle vie et de voir des projets se réaliser. Trouver un chum, partir en appartement, travailler… vivre ma vie d’adulte, quoi! Voilà ce que j’attendais depuis des années. Je n’en pouvais plus d’attendre. Cependant, cette impatience ne s’est manifestée qu’après un certain temps. Au début, les siestes, les exercices et les rendez-vous hebdomadaires à la clinique m’occupaient beaucoup. Il y avait aussi quelques inquiétudes à gérer et je devais m’adapter à mon nouveau corps. Sans oublier tous ces gens que je voulais revoir, puisque je le pouvais enfin. J’étais contente. J’étais occupée.
Puis, vint le jour où les visites s’espacèrent, autant à la clinique que chez les amis. La vie normale reprenait son cours. Je faisais moins souvent la sieste, car mes forces revenaient. Ainsi, j’avais plus de temps libre. En l’espace d’à peine trois mois, ma vie avait changé du tout au tout. Alors qu’avant la greffe, mon quotidien était réglé au quart de tour par de multiples traitements, voilà que je me retrouvais avec d’innombrables heures de temps libre chaque jour. Je devais bien sûr faire mes exercices, mais après mes 20 minutes de vélo ou mon heure de gym, j’étais censée faire quoi? Mystère. Je devais repenser ma vie, et décider de ce que je voulais en faire. Chose certaine, je ne voulais pas rester assise à me tourner les pouces! Toutefois, les projets prennent parfois du temps à se mettre en branle et c’est là que l’impatience se pointe. Difficile d’accepter de rester tranquille à la maison alors qu’on respire à pleins poumons. Ils ont beau être nouveaux, il y a des journées où rien ne semble avoir changé tant le quotidien est monotone. Ces poumons-là aimaient bouger, moi aussi; il me fallait donc rebâtir ma vie, en créer une nouvelle qui serait remplie d’air, de plaisirs et de joies.
Petit à petit, j’approchais du but. J’aurais voulu sauter dans le futur pour croquer la vie à pleines dents immédiatement, mais je devais prendre mon mal en patience et accepter que les choses prennent souvent du temps à se réaliser. Cette sagesse rivalisait avec mon impatience et j’ai nagé dans ces sentiments durant plusieurs mois, jusqu’au moment où j’ai eu l’occasion de m’inscrire à un cours qui commençait deux mois plus tard. Après l’attente interminable que je venais de vivre, ces deux mois m’ont paru encore beaucoup plus longs, car je savais précisément à quel moment mon quotidien allait changer.
Le marché du travail se rapprochait lentement – et mon amoureux aussi, sans que je le sache, puisque c’est lors d’un de mes stages que je l’ai rencontré…
Le marché du travail
Ma première expérience n’a pas été un franc succès. J’avais pourtant terminé une année de cours en assistance technique en pharmacie, mais, après trois semaines à travailler dans une grande pharmacie de quartier, j’étais complètement épuisée. Il est vrai que l’ambiance de travail n’était pas au mieux et que le roulement de personnel était élevé, mais j’étais malgré tout découragée de devoir arrêter si vite après avoir commencé mon emploi. Évidemment, je le prenais comme un échec, même si je tentais de voir les bons côtés de la chose. Le pire était de penser ne plus pouvoir retourner sur le marché du travail. En réalité, j’étais seulement épuisée et je devais me reposer pour y voir plus clair.
Le temps fait bien les choses. Lorsque mes forces sont revenues, une annonce est parue dans le journal. Elle était rédigée de telle manière qu’elle semblait m’être destinée. Le nombre d’heures demandé correspondait à ce que je me sentais capable de faire, le lieu de travail était tout près de chez moi et je connaissais déjà l’équipe, car j’avais fait un stage à cet endroit dans le cadre de mes études. Je n’aurais pu rêver mieux! J’ai souvent eu l’impression que, dans la vie, les choses se placent d’elles-mêmes et cette fois-là ne faisait pas exception. En gardant l’œil ouvert, j’avais su saisir une occasion en or. C’est ce poste que j’occupe depuis sept mois, à raison de quinze heures par semaine. Évidemment, ce n’est pas suffisant pour que je sois totalement indépendante financièrement, mais je me dis que c’est déjà un grand pas vers la vie que je me suis imaginée. Toutefois, je ne veux pas brusquer les choses. Je ne veux pas m’épuiser de nouveau, car je sais que je devrai tout arrêter et recommencer. J’ai appris à contrôler mon impatience et je désire prendre le temps de bien faire les choses.
Avec ce travail, j’ai la chance de me réaliser, de me sentir valorisée et d’enrichir ma vie sociale. Le fait de travailler au sein d’une belle équipe et d’interagir avec une clientèle diversifiée est bénéfique pour mon moral. En outre, maintenant que ma vie n’est plus entièrement constituée de journées de congé, je peux mieux les apprécier! La fatigue engendrée par ces journées de travail est un bien maigre argument contre tous ces avantages, surtout lorsqu’on pense que je me remets de plus en plus vite, étant donné que je m’habitue à cette routine.
Pour moi, le travail, c’est comme le gym : plus on en fait, plus on est capable d’en faire. Il suffit de s’écouter et d’y aller à son rythme. Certains greffés sont capables de travailler quarante heures par semaine, alors que d’autres sont incapables de retourner sur le marché du travail. La réalité de chacun est différente.
Je ne pourrai peut-être pas toujours travailler, mais au moins j’aurai eu la fierté de le faire et d’avoir osé essayer malgré ma peur d’échouer de nouveau. Si on n’essaie pas, on n’échoue pas, mais qui veut rester à ne rien faire?
Un conte de fées devenu réalité
En résumé, bien que la greffe ne soit pas le conte de fées auquel je m’attendais et que je ne serai jamais superwoman, je suis heureuse la majeure partie du temps. Les poumons ne font pas le bonheur, mais le souffle qu’ils m’insufflent me donne la chance de choisir ce que je veux faire de ma vie, donc d’être heureuse. Mes rêves changent au fil du temps et j’accepte qu’il en soit ainsi. Avant ma greffe, je rêvais de voyager. Après mon opération, je désirais boire de la sloche et de la limonade en abondance, parce que j’avais trouvé difficile d’être restreinte en liquides. Maintenant, mon but est d’arriver à être en mesure de travailler suffisamment pour être indépendante financièrement. Quelques-uns trouveraient peut-être banal ce que je fais de ma nouvelle vie, mais qu’importe.
L’important pour moi est d’être satisfaite de mes décisions et d’être fière de ce que je fais de ma vie. Je n’en ai qu’une, bien que je sois née deux fois.
Témoignage de Jacinthe Huard
Saint-Denis-sur-Richelieu