Entrevue avec Richard Lavigne, directeur général de la COPHAN (Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec)
Richard Lavigne, directeur général de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (qui compte le CPAFK parmi ses membres), a une déficience visuelle depuis sa naissance. Il milite depuis une trentaine d’années pour la cause des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Voici le portrait d’un homme passionné qui défend leurs droits – et qui travaille pour que notre société arrive un jour à voir les choses autrement…
Vous avez une déficience visuelle. Pouvez-vous nous parler un peu de votre quotidien et de votre cheminement de vie?
Depuis ma naissance, je vois un peu la lumière, mais je suis fonctionnellement aveugle. Ça ne sert pas à grand-chose, sauf pour savoir s’il fait clair ou non. Je ne peux pas lire ni me déplacer en utilisant la vue, ni repérer les choses ou les gens. Quand j’étais jeune, je voyais un peu plus, mais jamais assez pour lire et écrire. J’ai appris le Braille à l’âge de 5 ans.
Dans les années soixante, on envoyait les enfants aveugles dans des écoles spécialisées. Ainsi, de 5 ans à 11 ans, j’ai fréquenté une école spécialisée tenue par les Sœurs Grises, à Montréal. Puis, j’ai fréquenté un collège tenu par les Clercs de Saint-Viateur, jusqu’en quatrième secondaire. Par la suite, je suis allé à la polyvalente, puis au cégep et à l’université.
Aviez-vous accès à des ressources adéquates?
À l’époque, il fallait se débrouiller. Il n’existait pas de programme ni de subventions pour embaucher des accompagnateurs, des lecteurs, par exemple. Les ordinateurs n’étaient pas monnaie courante. Il nous fallait trouver des bénévoles pour lire nos livres et les enregistrer sur cassette. Nous devions nous adapter, nous ajuster, nous organiser avec les moyens du bord.
Comment êtes-vous arrivé au poste de directeur général de la COPHAN?
À l’université, j’ai un peu étudié en sciences politiques, pour m’orienter ensuite en droit. Par la suite, je me suis intéressé à la défense des droits des personnes ayant une déficience visuelle, dans un premier temps dans un groupe communautaire de défense collective des droits. De fil en aiguille, je me suis concentré dans le secteur de la défense des droits pour l’ensemble des personnes ayant des limitations fonctionnelles.
J’ai beaucoup milité, d’abord pour les aveugles, pour la défense de leurs droits. Par la suite, je me suis impliqué dans divers comités de la COPHAN. Dans les année 1990, j’ai également milité auprès d’autres groupes communautaires.
En 1997, j’ai été élu président de la COPHAN. À ce titre, je me suis de plus en plus impliqué dans des dossiers touchant différentes déficiences. En 2006, les grands regroupements provinciaux de personnes ayant des limitations fonctionnelles m’ont embauché pour les assister et les représenter lorsqu’on a refait la politique gouvernementale québécoise à l’égard des personnes ayant des limitations fonctionnelles, intitulée « À part égale », qui est devenue la politique « À part entière » et a été adoptée en 2009. J’ai représenté ces regroupements à 17 tables de concertation et dans des groupes de discussion qui réunissaient des représentants des associations, des ministères et de l’OPHQ (Office des personnes handicapées du Québec), en vue de développer une proposition de politique.
En 2008, lorsque j’ai terminé mon contrat, la COPHAN a ouvert un poste de DG et m’a embauché. Je suis là depuis ce temps.
Le site Web de la COPHAN est actuellement en reconstruction. Le nouveau site sera-t-il mis en ligne bientôt?
Il devrait être lancé en décembre prochain, si tout va bien. Nous avons récemment procédé à un exercice de planification stratégique de la COPHAN, au cours duquel nous avons revu nos valeurs, notre vision, etc. Le site Web doit être mis à jour en conséquence. Nous devons également le rendre accessible à tous, sur le plan technique, pour toutes les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Entre autres, nous souhaitons y intégrer des capsules en langage des signes du Québec, afin de le rendre accessible pour les personnes ayant une déficience auditive. Nous voulons aussi que les gens qui utilisent un appareil Braille puissent naviguer de façon autonome et adéquate. Le contenu du site a également été rédigé en langage simplifié, afin d’en faciliter la lecture pour les personnes ayant des limitations cognitives. Autrement dit, nous voulons prêcher par l’exemple et offrir un site accessible à tous.
Vous dites avoir revu la vision et les valeurs de la COPHAN. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
La mission n’a pas vraiment changé – elle a été mise à jour. Au fil du temps, le discours et les mots pour le dire ont évolué. À une certaine époque, on parlait d’infirmes, d’invalides, puis de personnes handicapées; aujourd’hui, on parle de personnes en situation de handicap ou ayant des limitations fonctionnelles.
La COPHAN – et de plus en plus d’interlocuteurs – travaille depuis plusieurs années sur les causes des situations de handicap. Ainsi, nous devons préciser pourquoi une personne se trouve en situation de handicap.
Il existe deux facteurs. Le premier concerne les particularités de la personne : limitations au niveau moteur (quelqu’un qui ne peut pas marcher), visuel (qui ne peut pas voir correctement), auditif (qui n’entend pas correctement), cognitif (qui a de la difficulté à comprendre ou à se concentrer), etc. Le deuxième facteur concerne les environnements physique, politique, social, culturel et économique. Si ces environnements sont adéquats (universellement accessibles), conçus de manière à ce que tous puissent en bénéficier, en tenant compte des limitations fonctionnelles de chacun, les situations de handicap sont beaucoup moins grandes. Nous travaillons donc sur les deux plans : pour corriger les environnements dans le but de les rendre universellement accessibles, et pour que les personnes ayant des limitations puissent obtenir des traitements, des services, des programmes, de l’aide technique, etc. en vue d’amoindrir les situations de handicap. Lorsque nous réussissons sur les deux plans, les situations de handicap sont diminuées, voire absentes. Par exemple, si on me donne un livre en Braille, je ne suis plus handicapé par rapport à la lecture puisque je peux lire. Si on me procure un environnement urbain plus sécuritaire, c’est bon pour moi qui suis aveugle, mais aussi pour tout le monde. Ainsi, on peut répondre aux besoins des personnes, qu’elles aient une déficience ou non.
Ainsi donc, nous avons revu la mission de la COPHAN en gardant à l’esprit que l’objectif de la Confédération est de favoriser la participation sociale pleine et entière des personnes vivant des situations de handicap, ainsi que celle de leur famille. Il n’est donc pas nécessairement question d’« intégration », mais bien de participation. Si la personne souhaite le faire dans un milieu moins « intégré », c’est son droit. Toutefois, l’objectif ultime de tout citoyen, handicapé ou non, est de participer, à la mesure de sa volonté et de ses capacités, à la société sur les plans économique, social, culturel, politique, etc. Notre objectif est donc de favoriser la pleine participation sociale en respectant les choix que la personne a le droit d’exercer. Ce n’est pas à nous de décider ce qui est bien ou pas. Ce que nous voulons, c’est que les environnements où évolue cette personne soient conçus de manière à ce qu’elle puisse exercer librement ses choix et participer activement au développement de la société.
Pouvez-vous nous expliquer la différence entre les notions d’intégration et d’inclusion?
Nous travaillons beaucoup sur une approche inclusive. Lorsqu’on parle d’intégration, on prend une personne et on l’insère dans quelque chose qui existe. Il incombe à la personne de s’ajuster. Lorsqu’on parle d’une approche inclusive, on favorise la mise en place ou encore la révision ou la planification de programmes, de services, de lieux, etc. de manière à ce que, dès le départ, on prévoie pouvoir inclure tout le monde. On parle alors d’accessibilité, ou de conception universelle.
Critères permettant l’inclusion
Pour « atteindre » l’inclusion, il faut respecter certains critères. La COPHAN privilégie cette approche selon quatre critères. Le premier est l’accessibilité universelle, qui consiste à prévoir la construction des édifices ou la fabrication des choses, ou encore à planifier les programmes et les services, etc., de façon à ce que tous puissent en bénéficier de la même manière et au même moment.
Le deuxième critère d’inclusion porte sur la question de l’accommodement raisonnable, un concept visant toute personne ayant des besoins particuliers. Il s’agit d’un traitement différencié, et non d’un traitement égal, de mise en place de mesures visant à accommoder une personne pour qu’elle puisse exercer ses droits au même titre que les autres. La Cour suprême du Canada a déterminé les trois critères d’accommodement : la faisabilité, la sécurité pour tous et les contraintes excessives. Selon un arrêt de cette Cour[1], on entend par « contrainte excessive » un coût d’accommodement tel qu’il peut mettre en péril la nature de l’entreprise ou du programme. Ainsi, pour pouvoir refuser un accommodement, il faut démontrer qu’il coûte vraiment trop cher.
Le troisième critère d’inclusion est la compensation des coûts qu’une personne doit assumer pour pallier ses limitations fonctionnelles et les situations de handicap qu’elle rencontre. En effet, une personne ayant des limitations fonctionnelles doit défrayer certains coûts directement liés à sa déficience. Par exemple, payer plus cher pour un logement accessible ou près des services, un service d’accompagnement pour aller au théâtre, un service de gardiennage spécialisé pour un enfant autiste.
Enfin, le quatrième critère d’inclusion est l’accès aux programmes, services et mesures qui s’adressent à l’ensemble de la population. Autrement dit, la COPHAN ne veut plus qu’on mette sur pied des programmes et services en parallèle avec ceux qui s’adressent à l’ensemble de la population. Elle souhaite qu’éventuellement, les services spécialisés pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles ne soient plus offerts dans des édifices distincts, à part, mais qu’ils soient plutôt inclus dans les services offerts à l’ensemble de la population, dans les mêmes locaux que celle-ci. Arrêtons d’avoir deux mondes parallèles; créons plutôt un seul monde dans lequel tous peuvent évoluer en même temps.
Pourquoi insister sur l’inclusion plutôt que sur l’intégration?
On dit souvent que les personnes dites non handicapées ne sont pas sensibilisées, ou sont mal sensibilisées, aux attentes, besoins et aspirations des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Or, si on n’en voit pas, si l’on n’en rencontre pas, si l’on ne discute pas avec elles, comment pourrait-on vaincre les préjugés? Les gens ne seront pas en mesure de comprendre leur situation et donc d’être d’accord avec les mesures à prendre. Au cours de mes 30 années d’expérience, j’ai constaté que, si je prends la peine d’expliquer mes besoins à quelqu’un qui ne comprend pas, en moins de dix minutes, la personne saisit tout et me dit « C’est vrai, je n’y avais pas pensé ».
Si l’on arrêtait d’avoir des mondes parallèles, les personnes ayant des limitations fonctionnelles seraient mieux comprises et sans doute plus à l’aise avec les personnes qui n’en ont pas. À moyen terme, on économiserait si on cessait de payer en double.
C’est un peu pour cela que la COPHAN a revu ses manières de faire pour promouvoir l’inclusion et la pleine participation sociale. Il s’agit d’un enjeu pour tous, pas seulement pour les personnes que nous représentons.
La COPHAN – qui regroupe un peu plus d’une cinquantaine d’organismes membres – ne demande pas de privilèges. Nous demandons des mesures pour êtres égaux, pour pouvoir participer de façon autonome, avec notre libre choix et à notre mesure, au développement de la société. Nous ne voulons plus obtenir des choses par charité. Nous voulons plutôt que ce soit reconnu comme des moyens d’exercer ce droit à l’égalité.
Déconstruire les préjugés
Aujourd’hui, plusieurs personnes ayant des limitations fonctionnelles veulent travailler. D’ailleurs, j’ai déjà participé, au nom de la COPHAN, à une commission parlementaire de l’Assemblée nationale, à Québec, pour réclamer le droit de payer de l’impôt – à la surprise générale! En effet, si on paye de l’impôt, à moins d’être riche, c’est parce qu’on travaille. Si nous ne pouvons pas travailler, nous sommes considérés comme des bénéficiaires, des assistés, des pauvres gens qui avons besoin d’aide. Oui, nous avons besoin d’aide, mais pas seulement de ça.
Notre défi consiste aussi à défaire les préjugés, positifs ou négatifs. Quand on est différent, soit on est mieux que les autres, soit on est pire. J’ai déjà entendu « Ah, que vous êtes courageux! » Non, je ne suis pas courageux, je veux manger, je n’ai pas le choix! Si je travaille, ce n’est pas une question de courage, c’est une question de survie, comme la majorité du monde!
De la même façon, comment une personne ayant des limitations fonctionnelles qui se fait rabaisser continuellement peut-elle se sentir utile? Il est difficile pour elle de se convaincre qu’elle a des capacités et qu’elle peut participer au développement de la société. Il faut donc déconstruire cette image plutôt que de concevoir des programmes « pansements » qui viennent appliquer un baume sur le problème plutôt que de s’attaquer à la source.
À l’heure actuelle, quelle est la situation des personnes ayant des limitations fonctionnelles organiques?
La situation est différente de celles des personnes ayant des limitations motrices, par exemple celles qui se déplacent en fauteuil roulant. En effet, grâce aux efforts déployés au cours des 30 dernières années, on en voit de plus en plus sur les trottoirs et un peu partout. Dans les années 80-90, on a beaucoup travaillé sur l’accessibilité physique : rampes d’accès, salles de toilette accessibles, ascenseurs, etc.
En ce qui concerne les autres types de limitation, c’est parfois plus difficile. Nous ne pouvons malheureusement pas défendre tous les fronts en même temps, et certains mouvements de revendication ont sans doute eu plus de succès que d’autres. Quant aux mesures à mettre en place pour répondre à des besoins d’ordre organique, sensoriel ou intellectuel, ils sont d’une nature différente. Les limitations sont parfois moins visibles et les situations variées exigent souvent des mesures plus complexes que le « simple » ajout d’une rampe d’accès. Notamment, dans le cas d’une personne greffée, plusieurs aspects sont à examiner : médication, mode de vie, horaire irrégulier, transport (horaire ayant des incidences sur les traitements). Les enjeux sont différents de ceux des personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices. Ces derniers ne sont pas moindres, seulement différents.
Dans l’ensemble, la situation est nettement mieux qu’il y a 30 ans. À l’époque, on appliquait une petite mesure, et c’était extraordinaire, car rien n’existait. Plus on avance, plus c’est compliqué. Aujourd’hui, le contexte a changé, la situation a évolué. On précise, on nuance, on articule. Comme elles souhaitent participer activement au développement de la société, les personnes ayant des limitations fonctionnelles, souvent plus instruites qu’auparavant, sont maintenant plus exigeantes, envers elles-mêmes et envers les autres et leur environnement. Elles veulent avoir des moyens à leur disposition.
Prenons le secteur de l’emploi. On a beau parler d’« intégration », il faut travailler sur les plages de travail, les conventions collectives, pour les adapter. Prenons par exemple, pour un poste donné, une personne ayant des limitations fonctionnelles qui ne permettent pas de faire une partie de la tâche. Les syndicats et les gestionnaires accepteront-ils de modifier la tâche de manière à favoriser l’embauche? Que dirons les collègues de travail? C’est là un important questionnement.
Changer les pratiques et les systèmes
Il faut donc intéresser les syndicats, les employés et les directions à adopter de nouvelles pratiques. Lorsqu’il est question d’aménager les lieux de travail, il n’y a généralement pas trop de problèmes. Par contre, lorsqu’on parle de modifier les conditions de travail, les horaires, les tâches, les conventions collectives, on doit faire face à plus de résistance, car cela exige plus de planification. C’est plus compliqué. Ainsi, nous n’en sommes plus à installer des rampes d’accès, des salles de toilette accessibles ou à fournir des documents en Braille. Il faut aller plus loin, impliquer l’ensemble de l’organisation, changer le fonctionnement global du système actuel. Les personnes ayant des limitations fonctionnelles ont aussi des capacités. Tout comme un vendeur mise sur les capacités de son produit, nous devons miser sur les capacités des personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Ainsi, en tant qu’organisme de revendication et de défense collective des droits, la COPHAN a dû revoir ses façons de faire, ses stratégies. Les manifestations, les pancartes ont moins d’effet qu’avant. Nous devons plutôt convaincre nos partenaires, travailler avec eux pour trouver des solutions, collaborer plutôt que confronter, tout en continuant d’avancer. C’est là l’un des grands défis des organismes comme la COPHAN : éviter de tomber dans la paralysie d’un partenariat infructueux. Il est important d’établir des partenariats axés sur des résultats. Il faut de la bonne foi, de la volonté des deux côtés, et la reconnaissance de la nécessité de trouver des solutions. La COPHAN préfère adopter une approche selon le leitmotiv suivant : « Travaillons ensemble dans l’optique de régler le problème ». Si nous réalisons qu’un partenaire tente de nous jeter de la poudre aux yeux, nous nous retirons. Nous devons apprendre, sans laisser tomber nos préoccupations, à ne pas effrayer les gens, tout en prenant soin de ne pas tomber dans le piège de l’inaction.
J’imagine que de gagner une bataille doit procurer un profond sentiment de satisfaction?
Je dois admettre qu’il y a longtemps que nous n’avons pas gagné de bataille – et nous n’en gagnons pas souvent… Lorsqu’on examine l’ensemble de la situation, on constate une certaine évolution, ici et là. Toutefois, il n’y a pas de plan d’action global concerté. Même si chacun fait un bout de chemin, les responsables de programmes, les différents paliers gouvernementaux semblent avoir des problèmes de communication, de délégation de l’autorité. Sans oublier la guerre des pouvoirs. C’est pourquoi il est de plus en plus difficile de travailler en collaboration.
Vous avez énuméré plus tôt quelques-unes des lois, des ententes et des politiques qui ont été mises en place pour assurer l’exercice des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Selon vous, sont-elles bien appliquées au Québec tant au privé qu’au public?
Le Québec a établi de nombreuses lois. Sont-elles bien appliquées? Ni plus ni moins que les autres lois, selon moi. Jamais assez. Les textes ont beau être imparfaits, nous devons tout de même travailler à leur mise en œuvre. Cependant, l’un des principaux arguments porte sur les capacités de payer. Les gens ont tendance à trouver des raisons expliquant pourquoi ils ne peuvent pas régler un problème plutôt que de travailler à trouver des moyens de régler le problème. Tout est une question d’attitude, d’angle d’analyse : « Comment puis-je faire pour régler le problème? » plutôt que « Pourquoi ne puis-je pas régler le problème? ».
Selon moi, nous avons des lois et des politiques correctes mais il y a encore de la discrimination, de l’injustice, de l’exploitation, des mesures mal appliquées, des incompréhensions… Les lois ne sont bonnes que si les personnes chargées de les faire appliquer y croient et agissent en conséquence. Une loi seule n’a aucune valeur. Un texte est simplement écrit; ce qui compte, c’est ce qu’on en fait.
Le Québec a signé le Pacte canadien sur la santé, fondé sur la Loi canadienne sur la santé, dont les grands principes sont : l’universalité, la gestion publique, l’accessibilité, la transférabilité et l’intégralité[2], [3]. À titre d’exemple, prenons le soutien à domicile. Comment se fait-il que plusieurs doivent payer pour ce service? Il s’agit pourtant d’un service de santé! Souvent, les fonctionnaires jugent que cela ne satisfait pas aux critères de la loi canadienne, qu’ils ne sont pas tenus d’offrir ce service gratuitement. Nous, la COPHAN, considérons que le service de soutien à domicile est un service de base, essentiel, de santé, qui doit être assuré par le réseau de la santé et des services sociaux. Comment pouvons-nous travailler en partenariat avec quelqu’un qui nous dit « Je ne suis pas obligé, je ne le fais pas » et qui ne se sent aucunement lié par les critères de la Loi canadienne sur la santé? Tout est question d’interprétation par les deux parties.
Si l’on songe au chemin à parcourir, on parle de sensibilisation, de voir les capacités plutôt que les incapacités, mais le manque de ressources financières met-il un frein au changement et aux initiatives?
Les gouvernements fédéral et provinciaux investissent des milliards de dollars en garanties de prêts pour les entreprises, comme lors de la crise de l’automobile. On parle alors d’« investissements ». Par contre, lorsqu’il s’agit d’assurer du transport, du soutien à domicile ou autres pour une personne ayant des limitations fonctionnelles afin de lui permettre d’aller travailler ou de se divertir, pourquoi parle-t-on de « dépenses »? Lorsqu’on veut trouver des budgets, on en trouve, le Québec est une société riche et il est faux de prétendre qu’on n’a pas les moyens de se payer de bons services. Ce sont des choix qui sont faits par nos gouvernements. Ce que je sais, c’est qu’un grand nombre de personnes ayant des limitations fonctionnelles se battent, beaucoup, tous les jours, pour survivre. Prenons par exemple le cas des personnes greffées (reins, pancréas, poumons). Elles se battent énormément, parfois longtemps, pour survivre. Cependant, une fois qu’elles sont rétablies, on refuse de leur offrir un poste à temps partiel, ou encore on les paie si peu qu’elles restent sous le seuil de la pauvreté.
La pauvreté est un fléau; les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont encore parmi les plus pauvres de la société, les plus exclues et les plus isolées. J’admets que les choses ont évolué en 30 ans, mais il faut vraiment se pencher sur ce problème.
Mon père me disait « Après un certain temps, quand tu fais des choses et que les choses ne bougent pas, change ta manière de faire ». C’est pourquoi nous devons adopter, collectivement – c’est-à-dire les personnes ayant des limitations fonctionnelles, les décideurs et toute la population – une une nouvelle vision, afin que tous puissent contribuer à la société du Québec. Une approche inclusive permet à chacun de se sentir égal à l’autre.
Tout est une question de choix. Le travail de la COPHAN consiste à essayer de convaincre les gens de faire les bons choix. Ainsi, plus les choses avancent, plus la situation est complexe; tout se joue dans la nuance. La défense des droits est donc devenue une spécialité, car on a affaire à des gens qui ont tendance à justifier un problème plutôt qu’à trouver des solutions. Nous manquons de plans d’action stratégique globaux, de vision. Je croyais que seuls les aveugles n’avaient pas de vision… [Rires]
Références
Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN)
www.cophan.org
Office des personnes handicapées du Québec
http://www.ophq.gouv.qc.ca/
Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain
http://www.raamm.org/
Politique « À part entière », adoptée en 2009
http://www.ophq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Politique_a_part_entiere_Acc.pdf
Politique provinciale sur le soutien à domicile
http://publications.msss.gouv.qc.ca/acrobat/f/documentation/2002/02-704-01.pdf
Politique sur l’adaptation scolaire
http://www.mels.gouv.qc.ca/dgfj/das/orientations/politique.html
Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/E_20_1/E20_1.html
Loi canadienne sur la santé
http://lois-laws.justice.gc.ca/fra/lois/C-6/index.html
Charte des droits de la personne
http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2&file=/C_12/C12.HTM
Accès à l’égalité en emploi : Guide pour l’intégration des personnes handicapées
http://www.cdpdj.qc.ca/DPAESC/Documents/89-Guide-integration-personnes-handicapees.pdf
[1] http://www.iijcan.org/fr/ca/csc/doc/1985/1985canlii18/1985canlii18.html, paragr. 23
[2] http://www.med.uottawa.ca/sim/data/Canada_Health_Act_f.htm
[3] http://lois-laws.justice.gc.ca/fra/lois/C-6/index.htmlAdidas