Ambassadrice de la fibrose kystique, d’un océan à l’autre
Entrevue avec Sarah Dettmers
Dynamique et débordante d’énergie, Sarah Dettmers parcourt le Québec et le Canada depuis toujours pour sensibiliser la population à la fibrose kystique. Son implication, et celle de sa famille, est arrivée de façon bien particulière. Maintenant âgée de 27 ans, celle qui prend souvent la parole lors d’événements organisés par Fibrose kystique Canada nous rappelle que des événements inattendus peuvent parfois changer notre vision de la vie.
Sarah, l’implication de votre père dans le milieu de la fibrose kystique remonte à plusieurs années avant votre naissance. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
En 1984, mon père travaillait au siège social de la compagnie Zellers. Cette année-là, l’entreprise avait décidé de commanditer et organiser une marche pour financer la recherche contre la fibrose kystique. Un jour, une petite fille, accompagnée de ses parents, est venue au siège social pour sensibiliser les employés à l’importance de participer à cette activité. Mon père, un homme au grand cœur, est littéralement tombé en amour avec cette jeune fille et son histoire. Il est donc devenu bénévole pour l’organisation de cette marche puis, rapidement, il en devenait un des principaux organisateurs. Je suis née en 1987 et, à l’âge de 18 mois, on découvrait que j’avais la fibrose kystique.
Quelle ironie du sort…
Évidemment ce fut une terrible nouvelle pour ma famille, mais également pour tous les employés du siège social de Zellers : la petite Sarah, la fille de celui qui organisait la grande levée de fonds contre la fibrose kystique, était atteinte de cette terrible maladie. C’était une véritable onde de choc. À partir de ce moment, l’entreprise s’est impliquée encore plus pour l’organisation de plusieurs autres levées de fonds. Mon père faisait des témoignages durant lesquels je l’accompagnais. Il me prenait dans ses bras, et je prenais le micro en disant aux gens « Merci beaucoup, thank you very much ! ». J’avais
des standing ovation, j’adorais ça. Zellers m’inondait de cadeaux : jouets, baladeurs, toutous. Bien sûr, cela m’incitait à poursuivre mon implication, car en retour j’avais beaucoup de récompenses : plus le temps passais, plus j’avais le goût de m’impliquer.
Votre implication s’est-elle limitée aux activités organisées par Zellers?
Non. Il faut savoir que mon père étant anglophone et ma mère francophone, je suis parfaitement bilingue. Fibrose kystique Canada (FKC) m’a alors approchée, puisque j’étais la candidate de prédilection pour faire des discours dans tous leurs événements. J’ai donc fait plusieurs activités, mais mon moment le plus mémorable fut ma rencontre avec Céline Dion. Lors du dernier spectacle de sa tournée en 1993, j’ai eu le privilège de co-animer la soirée avec Sonia Benezra. Je crois que c’est à partir de ce moment que je suis devenue, en quelque sorte, la coqueluche de FKC !
Vous étiez devenue une véritable ambassadrice dans le milieu de la fibrose kystique. Comment viviez-vous cela?
Vers l’âge de 12 ans, mes parents m’ont demandé si j’étais à l’aise avec tout ce que je vivais. Évidemment, ce sont eux qui m’avaient amenée à m’impliquer et, de leur propre aveu, cela leur faisait du bien de me voir participer à toutes ces activités. Mais ils voulaient savoir si j’étais heureuse avec tout cela. De mon côté, la question ne se posait même pas. J’ai toujours adoré être sur la scène et parler devant un public, derrière un micro. D’ailleurs, j’ai par la suite fait mes études en théâtre. Mes diverses implications ont très certainement orienté mon choix de carrière. Étudier dans le domaine du théâtre au CÉGEP et à l’université était pour moi une véritable passion.
Comment se sont déroulées vos études? Est-ce que la fibrose kystique vous a limitée?
Avant d’avoir 20 ans, la vie m’avait épargnée de tous les désagréments que plusieurs autres personnes atteintes peuvent connaitre. Les hospitalisations, je ne connaissais pas ça. Et puis, je suis une éternelle optimiste : il y a toujours quelqu’un qui vit une situation pire que la mienne ! Un jour, la réalité m’a rattrapée et mon état s’est dramatiquement dégradé. J’ai perdu une bonne partie de mon VEMS, la situation était catastrophique. Pneumonies et infections se succédaient. Les médecins avaient peur pour moi et moi, plus que tout, j’avais peur de mourir. La situation s’est graduellement améliorée. J’ai alors pris conscience de mon état général et j’ai commencé à réellement comprendre ce qu’est de vivre avec la fibrose kystique.
Dès lors, il est devenu évident que je ne pourrais jamais travailler dans le domaine du théâtre, qui était devenu trop exigeant pour ma condition. À 24 ans, j’ai dû m’assoir et revoir comment j’allais
maintenant vivre ma vie. Pendant un an, j’ai occupé divers emplois, de serveuse dans un restaurant à caissière chez Tim Hortons. Je ne savais plus où j’allais me diriger : c’était ma crise de la quarantaine, mais à 24 ans !
Un jour, par hasard, j’ai repris contact avec une amie de jeunesse. Elle et moi partagions la même passion pour les voyages, et elle en avait fait une carrière. Ce fut le déclic : j’avais enfin trouvé ma « vocation » ! Un mois plus tard, j’étais inscrite à un cours intensif pour devenir conseillère en voyage et j’ai décroché mon diplôme en quelques mois. C’était la situation idéale, car je pouvais maintenant travailler à mon rythme, à mon domicile.
Les remises en question arrivent à bien des personnes lors de telles situations. Comment avezvous vécu ces événements?
J’ai compris qu’il ne fallait plus faire de déni avec la maladie. Trop souvent, même quand ça allait mal, je disais à mon entourage que j’allais bien. Peut-être par volonté de surprotection, pour ne pas inquiéter mes parents, mais je n’étais pas honnête avec eux et avec moi-même. Notre maladie en est une qui est peu visible physiquement. Parfois, on se sent mal, mais personne ne le voit. J’aime comparer les différents aspects de la fibrose kystique à un iceberg : les gens ne voient que 10% de la situation, pas notre condition au complet ! Malgré tout, j’ai continué à livrer des témoignages et rencontrer des gens pour les sensibiliser à la maladie. Cela me faisait du bien d’en parler.
Inévitablement, quand notre état de santé se détériore, on pense à la greffe. Est-ce que cela vous fait peur?
Pas du tout ! Au-delà de toutes les craintes que je pourrais avoir, sous aucune considération je ne refuserai la greffe si je dois m’y rendre. Mon désir de vivre est plus fort que toutes les peurs imaginables. Par contre, j’ai peur de l’impact de cette intervention sur les gens que j’aime. Le jour où je devrai annoncer à mes parents que la mise sur la liste d’attente est venue, ce sera pour moi comme un coup de couteau car ils seront finalement confrontés à mon réel état de santé.
Cependant, je n’ai pas encore pensé à ce que serait ma vie après la transplantation pulmonaire. Je ne suis pas encore mentalement prête, car la maladie ne me limite pas encore beaucoup.
Est-ce que votre implication a des répercussions dans votre quotidien?
D’une certaine façon, j’adore parler de la maladie et l’expliquer aux gens. Comme tout le monde, il m’est souvent arrivé, lors d’une quinte de toux, de me faire dire que « la grippe est forte cette année’ » ! Mais au lieu d’ignorer ces commentaires ou de partir, je préfère discuter avec ces personnes et leur faire comprendre ce qu’est la maladie. Trop de gens l’ignorent, et si nous voulons faire progresser la défense de nos droits et de nos intérêts, nous devons conscientiser les gens à notre condition. On ne sait jamais quel impact peut avoir une telle prise de conscience sur les individus. Un jour, peut-être qu’une de ces personnes sera sollicitée pour contribuer à une levée de fonds pour nous aider. Elle pensera alors à moi, cette fille qui crachait ses poumons dans l’autobus et elle fera un don ! Chaque petit geste fait une grosse différence.
« J’aime comparer les différents aspects de la fibrose kystique à un iceberg : les gens ne voient que 10% de la situation, pas notre condition au complet ! »
Est-ce que la fibrose kystique a influencé votre façon de voir la vie?
Il y a une épée de Damoclès qui est toujours là, ce qui a un gros impact sur l’appréciation des petites choses de la vie, nécessairement. Souvent, il y a des activités qui me passionnent, mais qui n’intéressent pas nécessairement les autres personnes de mon âge et en santé. J’ai une urgence de vivre, je veux profiter de tout maintenant! On agit parfois au-delà de nos capacités et de nos moyens par peur de ne pas avoir le temps de vivre tout ce que l’on voudrait. Jusqu’à la vingtaine, je parlais un peu au travers mon chapeau quand je pensais à ces petites choses de la vie. Je disais penser de cette façon, mais probablement parce que c’est ainsi que pensaient mes parents. Cette urgence de vivre à mes côtés, ils me l’avaient inculquée.
À partir de 20 ans, j’ai commencé à perdre des amis à cause de la fibrose kystique, des amis de plus en plus près de moi. Je ne dirais pas que cela a changé ma façon de voir la vie, mais cela a eu pour effet de tout concrétiser, de rendre les choses réelles. Je ne vis plus le moment présent parce que j’ai appris à vivre de cette façon, mais bien parce que je comprends sa réelle signification.
Je ne peux imaginer ma vie sans m’impliquer pour combattre la fibrose kystique. Que ce soit par du travail de terrain ou lors de conférences, je ressens le profond besoin de m’impliquer. Tant que je pourrai le faire, je le ferai ! Et puis, je me rends compte depuis quelques années que tant mon discours que mon type d’implication sont appelés à changer. Avant, j’étais très orientée vers l’amassement de fonds pour la recherche, car plus d’argent pour la recherche signifiait qu’on trouverait plus rapidement un remède contre la maladie, ou du moins pour avoir une meilleure qualité de vie. Jeune, je me disais que nous n’avions pas besoin d’aide, mais d’un remède ! Mais depuis quelques temps, je me retrouve confrontée à des problèmes d’adultes auxquels je dois faire face moi-même. Ce qu’il y a sous la pointe de l’iceberg, maintenant je le vis. C’est pour cela que j’ai un grand désir de m’impliquer plus activement au sein de Vivre avec la fibrose kystique et parce que je ressens le besoin d’aider plus concrètement les autres. Il ne faut évidemment pas lâcher la poursuite de la recherche, mais il y a également une vie en tant qu’adulte qui vit tous les jours les conséquences de sa condition. Mon cheval de bataille était le profit, l’argent. Maintenant, j’aime savoir qu’il y a des gens dans cet organisme qui pourront m’aider quand j’aurai besoin d’aide. Vivre avec la fibrose kystique est là si j’ai des questions. Trop souvent, on ne comprend pas l’utilité de quelque chose avant d’en avoir besoin !
Propos recueillis par Richard Leboeuf-mcGregorHighsnobiety Sneakers