Entrevue avec Pierre-Alexandre Tremblay – publié dans le SVB numéro 45
- Bonjour Pierre-Alexandre, peux-tu te présenter?
Je suis né au Saguenay et j’ai déménagé en Mauricie à l’âge de 12 ans. J’ai été diagnostiqué à 3 mois de la fibrose kystique. Je suis greffé depuis près de 18 ans et j’ai déjà 40 ans. Les années passent tellement vite! J’ai étudié à Montréal en comptabilité et c’est à ce moment que j’ai reçu ma greffe de poumons. Après mes études, je suis retourné vivre en Mauricie et je travaille à temps plein depuis ce temps. J’ai toujours eu des emplois que j’aimais, alors pour moi aller travailler c’est bénéfique. J’aime avoir le sentiment de me réaliser en m’amusant et j’ai la chance d’avoir un travail qui me le permet! Depuis que je travaille, j’ai une préférence pour la gestion et les gens. Comme j’aime les défis, après 12 années comme directeur financier, j’ai changé d’emploi pour un poste de directeur des ressources humaines. J’adore travailler en Mauricie, car je peux aussi profiter du plein air facilement. Dès que j’ai des moments libres, je passe mon temps à jouer dehors et à pratiquer des activités telles que le vélo de montagne et le kayak en été, et le ski et la raquette en hiver.
2. Tu es actuellement dans un processus d’adoption, comment en es-tu arrivé à cette décision?
J’ai toujours su que je n’aurai pas d’enfant naturellement à cause de l’infertilité due à la fibrose kystique. Je me suis donc informé au fil du temps sur les options qui s’offraient à moi. C’est en lisant les articles des publications de Vivre avec la fibrose kystique, en participant aux conférences et en discutant avec des personnes FK sur ce sujet que ma pensée a évolué. Pour moi, l’option de l’adoption s’est présentée par elle-même. C’est en me séparant à 38 ans et en ayant toujours le désir d’être parent que l’adoption s’est avérée la meilleure option. Je n’avais pas le temps de rencontrer une conjointe et apprendre à la connaitre pour avoir un enfant ensemble avec les délais de la fécondation in vitro. Mon urgence de vivre s’est imposée. Comme je savais que je ne devais pas attendre encore des années pour réaliser mon rêve, je me suis lancé seul dans le projet d’adoption via la DPJ.
3. D’où vient ton désir de parentalité?
J’ai toujours aimé les enfants. Je suis une personne qui est passionnée par le développement humain et les relations entre les gens. Depuis longtemps je désire avoir un enfant. J’ai eu le bonheur d’être dans la vie d’un petit homme adorable, fils de mon ex-conjointe. C’est en vivant au quotidien avec ce petit garçon et en le voyant évoluer que j’ai été convaincu à 100 % que c’était mon but dans la vie, ma raison d’être, soit celle de prendre soin d’un enfant.
4. Comment se sont passés ta démarche et le processus d’adoption?
Une fois que tu as pris ta décision que c’est ce que tu veux dans la vie, tu as envie que ça se passe vite! Mais il faut de la patience, car le processus est long. Le processus au complet a pris un an et demi. OK je sais que bien des couples essaient pendant plusieurs mois avant de crier victoire et que la grossesse c’est neuf mois, mais j’ai trouvé ça long! Dans toute cette aventure, ce que j’ai le plus appris jusqu’à présent c’est de lâcher prise et d’accepter que je n’aie pas le contrôle.
J’ai opté pour l’adoption au Québec avec la DPJ. Le programme s’appelle « Banque mixte ». Tu es donc famille d’accueil pour débuter. Tu n’as aucun droit sur l’enfant. Pour le système, tu es une ressource rémunérée pour s’occuper d’un enfant du système. C’est froid quand je le dis, mais parfois c’est comme ça que je me sens. Les intervenantes sont exceptionnelles, elles se dévouent pour le bien de l’enfant tout en composant avec les limites de la Loi, je leur lève mon chapeau. L’autre type de familles d’accueil dites régulières doit avoir une vocation et un certain détachement des limitations du système, j’ai plein d’admiration pour ces personnes qui accueillent des enfants depuis tant d’années.
Le processus pour l’adoption est très rigoureux. Quand je me suis décidé en décembre 2019, j’ai contacté le centre jeunesse de ma région pour connaitre le processus. C’est à ce moment que tu réalises que tu entres dans un « processus ». Je pensais avoir toutes mes réponses en parlant avec quelqu’un. Et non! Il faut assister à deux séances d’information. Ensuite, si tu cadres dans les critères qu’ils t’ont nommés et que tu veux encore te lancer dans le processus malgré les mises en garde, tu dois faire la demande officielle par écrit. Ensuite, tu reçois deux énormes formulaires de plus de 50 pages au total. Mais l’objectif est de bien te connaitre ce qui à mon sens est essentiel. Tu dois donner ton bilan financier et les références à contacter. Et là tu attends que toutes les prises de références soient prises. Et un jour tu reçois un appel qui t’annonce que ton évaluation peut débuter. Dans mon cas, cela a été six rencontres au cours desquelles on discutait de ma vie, de qui je suis, de mon enfance, de mes relations amoureuses, de mes capacités parentales, etc. Ils sont venus à la maison pour s’assurer que tout était conforme. Ensuite, un comité doit approuver ta candidature. Normalement, une fois que tu es approuvé les choses vont vite! Je me suis fait proposer un enfant trois semaines plus tard. J’accepte, je me prépare, j’achète les vêtements, je m’assure qu’il ne manque rien dans la chambre selon l’âge de l’enfant que je vais recevoir. Mais, il faut qu’un juge accepte le placement de cet enfant. J’attends donc l’appel de l’intervenante pour me dire que c’est OK et qu’elle arrive avec l’enfant… Mais non, ils me disent qu’ils ont manqué de temps en cours et que la cause a été reportée… de deux mois pour pouvoir terminer la présentation des preuves et témoignages. Vu que ça peut être très long et qu’il peut y avoir des délais supplémentaires à la cour, j’ai donc pris la décision de passer à un autre projet — c’est comme ça qu’ils nomment un enfant confié en famille d’accueil, un projet. Ensuite, on me présente un autre projet qui, par contre, présente un risque plus élevé de retour avec la famille biologique. Un risque avec lequel je ne suis pas à l’aise, car mon projet c’est d’adopter un enfant. Je ne suis pas dans la catégorie « famille d’accueil régulière ». Finalement, on me rappelle pour me présenter le projet idéal pour moi : un enfant de 3 mois et demi. J’accepte et j’attends impatiemment la date du tribunal qui autorisera l’arrivée de mon coco. Le grand jour a été au mois d’avril 2020. Une journée que je me souviendrai dans les moindres détails. Ce sont les intervenantes de la DPJ qui m’amènent mon coco. J’attends impatiemment son arrivée. Je regarde par la fenêtre toutes les deux minutes s’il n’y a pas une voiture qui arrive dans l’entrée. Finalement ils arrivent! La joie et le stress s’emparent de moi. Tout un moment riche en émotions. La joie de finalement réaliser mon plus grand rêve. C’est un moment très spécial. Nous passons du temps ensemble à nous apprivoiser. Les jours suivants ont été magiques. Tout était nouveau pour nous deux. Lui, son environnement, son nouveau parent, de nouveaux sons, de nouvelles odeurs. Pour moi, je découvre son tempérament, sa personnalité, ses sons (surtout pendant la nuit), ce qui le fait rire. Cela fait maintenant un an et demi que nous sommes ensemble. Tous les jours, je suis émerveillé de le voir évoluer. Jamais je n’ai regretté mon choix de m’être lancé dans ce projet de fou. Il m’apporte tellement et il m’apprend à vivre dans le moment présent. J’ai toujours voulu vivre ma vie à 110 %, être comme les gens « normaux », faire fi des contraintes de ma maladie. Mon coco m’a appris à ralentir et à accepter les choses telles qu’elles sont. Ce n’est pas toujours évident, car le processus d’adoption est loin d’être terminé. Je suis encore à l’étape de famille d’accueil. J’attends impatiemment la date de tribunal pour la suite des choses.
5. En quoi la fibrose kystique est-elle ou a-t-elle pu être un obstacle?
La DPJ m’a questionné à ce sujet pour comprendre les impacts de la FK et surtout de la vie après la greffe. Mon médecin de la clinique de greffe a dû remplir un questionnaire médical. Il a indiqué que le pronostic est excellent et qu’il ne voit aucun risque imminent. C’est certain qu’en me lançant dans ce processus, je craignais que ma maladie soit un obstacle. Ça n’a pas été le cas du tout, au contraire, je considère que j’ai de belles valeurs à transmettre avec le vécu de cette maladie.
6. La fibrose kystique étant une maladie qui malheureusement ne se guérit pas, comment regardes-tu ta propre mort par rapport à ton rôle de parent? Est-ce un élément sur lequel tu as eu beaucoup de réflexion?
J’ai beaucoup réfléchi à cet aspect. J’en ai discuté avec mon médecin et il considère mon état de santé très stable. Donc, j’ai espoir de pouvoir vivre longtemps avec mon coco. Toute ma vie je me suis questionné sur le moment de ma mort et il est normal de le faire. C’est pourquoi j’ai une entente avec ma sœur : s’il m’arrivait quelque chose, elle prendrait mon coco. Et en fin de compte, je me dis que l’amour que je lui aurai donné le suivra toute sa vie!
7. Comment as-tu géré seul le quotidien (et surtout les nuits) avec un nourrisson où tu devais créer un cocon avec lui sans compter sur une aide extérieure durant les premiers mois?
Avec un enfant de 3 mois et demi, il est recommandé d’entamer une période « cocon » avec un enfant qui vient de l’adoption pour créer un lien d’attachement. Pour y arriver, nous devions nous isoler et passer notre temps ensemble. L’enfant doit comprendre à son rythme que c’est moi son nouveau parent. C’est pour cela qu’il faut éviter de voir d’autres personnes afin qu’il puisse comprendre que c’est moi qui vais répondre à tous ses besoins. Pour nous, cette période a duré deux mois. Une amie m’a dit : « C’est quoi deux mois dans une vie? Te souviens-tu de ton attente de greffe qui a duré 2 ans? Tu es passé au travers alors tu seras capable de passer à travers ça aussi! » J’ai aussi été chanceux, car j’ai fait la période « cocon » au début de la COVID-19 où tout le monde était confiné à la maison. Alors, je n’ai pas envié mes amis qui sortaient puisqu’ils étaient pris eux aussi à la maison tout comme moi!
Pour les dodos, je suis privilégié d’avoir un bébé facile. Il ne prend jamais de temps à s’endormir et il n’a jamais pleuré longtemps. Le meilleur truc que j’ai fait est de faire une sieste en même temps que lui. C’est un bon truc que bien des parents m’ont donné.
Pour les autres tâches quotidiennes, je me trouve des trucs et fais des choix. J’utilise donc un service de traiteur pour les repas, j’ai une personne qui vient pour le ménage, la tonte de gazon et le déneigement. Pour le reste, j’ai toujours eu pour but de minimiser les tâches, ce qui me sert grandement dans ce projet parental en solo.
Ma devise c’est de garder ça simple!
Il faut aussi un bon réseau. Mes amis et ma mère ont été très présents. Mes amis m’apportent les conseils et le soutien dont j’ai besoin. Ma mère garde souvent mon coco, surtout lorsque je suis retourné au travail après mon congé parental de 37 semaines. Avec la pénurie de main-d’œuvre et une hausse des naissances, il y a une rareté de places en garderie et je n’ai pas eu accès à ce service pendant les sept premiers mois de mon retour au travail. J’ai un excellent employeur très compréhensif et accommodant dans mon projet. Il m’a permis de travailler quatre jours par semaine et de faire du télétravail au besoin. Ma mère a donc beaucoup, beaucoup garder mon coco pendant cette période. Maintenant que mon enfant a une place à la garderie, la vie est plus simple et ma mère moins fatiguée! Je continue de travailler 4 jours par semaine parce que ce rythme me plaît bien, il me permet de passer plus de temps avec mon petit homme.
8. Comment conçois-tu une rencontre amoureuse en étant monoparental?
Pour moi, rencontrer quelqu’un n’est pas un objectif ultime dans l’étape de vie où je suis actuellement. La personne que je rencontrerai devra être merveilleuse. Je ne laisserai pas entrer la première venue dans la vie de mon garçon. Il est important pour moi d’avoir les mêmes valeurs avec la personne qui partage ma vie et celle de mon petit homme. Je sais que la vie me présentera cette personne le moment venu. Je n’ai jamais craint la vie de célibataire.
Lorsque je rencontrerai mon amoureuse, une nouvelle dynamique se créera avec mon coco. Le fait que mon petit homme n’a pas de maman, cette personne jouera un rôle très important et je crois qu’il est primordial de lui laisser la place qu’elle souhaite. Ne pas forcer les choses et la vie nous apportera le bonheur souhaité.
9. Comment envisages-tu la suite?
Je vis au jour le jour. Avoir un enfant c’est tellement être dans le moment présent que je n’ai d’autre choix que de le vivre ainsi. De toute façon, j’ai appris que faire des plans avec un enfant ne sert à rien, car ils peuvent vraiment changer souvent! C’est la vie qui me dictera la suite.
10. As-tu des conseils ou des ressources qui pourraient aider d’autres personnes ayant le même désir?
Le meilleur conseil que je peux donner est d’en parler et de bien s’informer. Ce n’est pas une décision que l’on prend rapidement, elle doit être murie. C’est pour cette raison que je recommande d’en parler beaucoup, car ça permet de faire évoluer sa pensée et valider son désir. Il ne faut pas se gêner à communiquer avec les bonnes ressources. Pour ceux et celles qui ont le désir d’adopter un enfant avec la DPJ, je leur recommande de contacter le centre jeunesse de leur région.
11. Souhaites-tu rajouter quelque chose?
Il n’y a pas de gêne à vouloir réaliser ses rêves, il faut foncer!
Propos recueillis par Sébastien Puli en septembre 2021