J’ai eu mon diagnostic à l’âge de 13 ans, mais ça fait réellement 30 ans que je vis avec la maladie. Jeune, j’avais sans arrêt d’intenses maux de ventre. Chaque hiver, un, deux ou trois rhumes se transformaient en « pneumonie ». Ma mère, découragée de se faire revirer de bord à l’urgence pour un simple mal de ventre ou un rhume, s’est tournée vers la médecine douce pour me soigner. Honnêtement, ç’a été parfait comme ça; mes maux finissaient par disparaître et ça m’a permis de vivre une enfance « normale », sans la surprotection et les millions de traitements à faire. Mon diagnostic, je l’ai eu parce que ma mère s’est tannée de m’entendre chialer que j’avais mal aux pieds ! Nous sommes donc allées voir une pédiatre pour comprendre ma douleur aux pieds. Vers la fin de la rencontre, après avoir regardé mes ongles, elle nous a demandé, à ma mère et à moi, si parfois je toussais pour rien. Ma mère et moi avons répondu sans hésiter « non ». La pédiatre m’a alors dit : « Charlène, tu as toussé au moins trois, quatre fois en 30 minutes ». Nous étions tellement habituées de m’entendre (et moi, de tousser) que nous ne nous en rendions même plus compte quand je toussais. Cette constatation, et le fait que j’avais une cousine qui est décédée de la FK, lui a suffi pour m’envoyer faire le fameux test à la sueur. Le résultat : eh bien, on le connaît tous, sinon je ne vous parlerais pas de moi dans cette belle revue ! Mais j’aimerais ajouter qu’on a aussi découvert que j’avais les pieds plats!
Comment ai-je pris cette nouvelle à l’aube de l’adolescence?
J’étais convaincue que nous nous étions tout simplement trompées de diagnostic. J’allais bien, je ne ressemblais en rien à toutes ces photos d’enfants qu’on nous présentait dans les différents dépliants expliquant ce qu’était la FK. Malgré le déni de la maladie, j’ai été vraiment heureuse de commencer à prendre des enzymes digestifs. J’ai pris 40 livres en un an ! Je suis passée d’une silhouette de petite fille à celle d’une vraie ado. Et en prime, je n’avais presque plus mal au ventre ! De plus, je n’ai pas eu de difficultés à intégrer mes traitements en aérosol. (J’ai toujours été le genre d’enfant à faire ce qu’on lui dit de faire : on brosse les dents de haut en bas, on n’embarque pas dans la voiture d’un inconnu, etc. Bref, si on me dit de respirer un médicament, je le fais !)
Je dirais que c’est vers l’âge de 20 ans que j’ai accepté que j’avais la FK. Le poste de représentante régionale pour le conseil d’administration du CPAFK était vacant à la suite des élections. Je suis de nature à aimer m’impliquer dans tout et un poste vacant, ça m’interpelle ! Avant de me présenter à la première réunion, je n’avais jamais parlé de vive voix à aucune autre personne atteinte de la FK (ma cousine est décédée quand j’avais 4 ans et l’hôpital évitait de nous exposer aux autres FK pour des questions de contaminations croisées). J’ai découvert, grâce aux membres du conseil d’administration, plein de gens bien vivants, rendus à différents stades de la maladie, mais personne sur un respirateur artificiel comme je me l’imaginais. Mon implication a eu plusieurs effets bénéfiques : je me suis familiarisée avec la maladie et, grâce à toutes les rencontres que j’ai faites au CPAFK, j’ai finalement accepté que j’étais une personne vivant avec la fibrose kystique.
Oui, mais : comment je vais maintenant?
Je me suis longtemps sentie mal de dire que j’allais bien. Tellement d’amis et de connaissances atteints de la FK ne vont pas bien; pourquoi moi, j’ai encore une bonne fonction pulmonaire? À 30 ans, je n’ai pas encore la réponse à cette question, mais j’ai accepté le fait que nous avons tous un cheminement différent avec la maladie. Je suis maintenant fière de dire que mon VEMS tourne autour de 105 % et que je n’ai encore jamais été hospitalisée. Je me dis que ça donne l’espoir que c’est possible de bien vivre avec la FK, même quand on a la double mutation ∆F508. Par contre, je sens tout de même que j’ai une petite dette envers ceux qui vont moins bien. Pour vous, je m’implique maintenant depuis 10 ans au CPAFK : je défends les droits et les intérêts des personnes vivant avec la FK qui n’ont pas nécessairement l’énergie pour s’impliquer, et je veille à ce que la belle mission de cet organisme se poursuive.
Et le rêve dans toute cette histoire?
Je ne sais pas si je suis une personne positive ou chanceuse dans la vie. Je sais par contre que des rêves, j’en ai plein, et j’ai la chance de pouvoir dire que j’en ai réalisé quelques-uns. Mon modus operandi est le suivant : je me fixe un rêve et un seul objectif à la fois, et j’y consacre beaucoup d’énergie. Jeune, je rêvais de posséder un cheval. J’ai trouvé un emploi dans une écurie près de chez moi (à 12 ans, je travaillais déjà). Je découpais toutes les petites annonces de cheval à vendre dans le journal. J’ai harcelé mes parents pour en avoir un, mais ils n’avaient pas assez de sous pour m’acheter une telle bête. Je vous laisse deviner ce que j’ai choisi, après mon diagnostic, comme rêve d’enfant ! Cette cocotte, elle est encore en vie; elle aussi a 30 ans cette année !
Au secondaire, j’ai choisi ma carrière en fonction de l’objectif que je m’étais fixé : avoir mon autonomie, ma vie d’adulte à moi, et vite. (On m’avait dit que l’âge médian est de 34 ans, donc j’avais 15 ans pour vivre toute une vie d’humain normal !) Donc, je me suis posée cette question : qu’est-ce qui me permettrait de faire de l’argent, mais qui ne me forcerait pas à passer 10 ans sur les bancs d’école? Ma réponse a été une technique en génie civil : trois années de cégep pour un salaire confortable en sortant. J’ai obtenu mon diplôme à 19 ans, j’ai acheté ma maison à 21 ans; l’autonomie dont j’avais tant rêvé !
En tant que vraie fifille, j’ai aussi rêvé de rencontrer l’homme de ma vie. L’amour, c’est comme la santé, on a beau espérer, on n’a pas tant de pouvoir là-dessus… Mais là encore, j’ai eu de la chance. Je me suis mariée à 24 ans, avec un homme merveilleux, qui m’accepte comme je suis et m’épaule au quotidien.
À 27 ans : épuisement professionnel
Je n’en pouvais plus du génie civil : une carrière que l’on choisit pour l’argent, ça ne peut pas rendre heureux bien longtemps. En plus des situations tendues que je vivais au travail, mon mari et moi avions décidé d’agrandir la maison. Nous y consacrions tous nos temps libres. L’agrandissement, nous le faisions parce que nous voulions fonder une famille. Et pour ajouter encore un peu plus de stress à tout ça, puisque je n’arrivais pas à tomber enceinte, nous avons essayé la clinique de fertilité : cinq inséminations artificielles avec prise d’hormones. Bref, j’en étais rendue là : échec au travail, stress à la maison, et toujours pas de bébé. Je n’en pouvais plus. De tout. Un long cheminement et beaucoup de réflexions m’ont amenée à me dire que mon bonheur, je le trouverais en agriculture. J’ai décidé de tout lâcher, le travail et la fabrique à bébé. Et je suis retournée à l’école.
J’ai terminé mes secondes études en mai dernier : une technique en gestion et exploitation d’une entreprise agricole. Ma formation m’a permis de réaliser un autre rêve que je chérissais depuis longtemps. J’ai participé au concours Chapeau les filles, qui s’adresse à des filles qui étudient dans des métiers traditionnellement masculins. J’ai remporté un stage à l’international en agriculture, dans le pays de mon choix. J’ai toujours souhaité voir les plages de la Polynésie française, c’est donc l’endroit que j’ai choisi pour faire mon stage : j’ai passé un mois au paradis en 2013 !
Et les rêves que je poursuis maintenant?
Je souhaite fonder mon entreprise serricole; la culture des légumes, c’est ma passion! Cet hiver, on recommence les essais bébé, mais en fécondation in- vitro. On verra… Je n’ai pas la définition exacte du bonheur : courir après ses rêves ou vivre le moment présent? Pour ma part, j’essaie d’allier les deux !
J’ai choisi de vous parler des aspects positifs que m’a apportés la FK (la détermination, la joie de vivre, l’empressement de croquer dans la vie). J’aurais pu vous parler des aspects négatifs de la maladie (la dépression, les traitements, les millions de matins à se lever moche, la rage de la maladie), mais je sais que vous les connaissez déjà. Sachez que ces aspects sont aussi présents chez moi, et que je me bats chaque jour pour les accepter ou, à tout le moins, pour apprendre à vivre en leur compagnie.
Témoignage de Charlène Blais
Magog